Nous devons tous nous considérer responsables des atrocités commises à Rafah. Et nous mobiliser sans attendre, car ce qui se produit là-bas nous concerne tous et constitue une épreuve décisive pour notre capacité d'agir humainement dans le monde.
Israeli attack in Rafah, Gaza
© Getty Images / Abed Zagout / Anadolu / Getty ImagesLes conséquences d'une attaque israélienne à Rafah, Gaza, le 9 février 2024.
Déclaration de Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès
Paris, le 15 février 2024

Nous devons tous nous considérer responsables des atrocités commises à Rafah. Et nous mobiliser sans attendre, car ce qui se produit là-bas nous concerne tous et constitue une épreuve décisive pour notre capacité d'agir humainement dans le monde.

Le gouvernement israélien a entrepris un nettoyage ethnique et des actes « pouvant être qualifiés de génocide ». Il doit se justifier devant la Cour internationale de Justice (CIJ) à partir du 19 février et rendre compte des mesures qu'il aurait dû prendre pour assurer qu'ils ne soient pas commis. Il continue pourtant aujourd'hui à s'en rendre coupable, avec un cynisme terrifiant de marchand de mort. C'est pourquoi le gouvernement sud-africain a déposé un nouveau recours devant la CIJ, en raison « des éléments nouveaux qui interviennent à Rafah » depuis sa requête du 26 janvier.

Non seulement plus de 30 000 habitants de Gaza, pour la plupart des enfants et des femmes, ont été tués par des bombardements, mais le blocage de l'aide humanitaire et de l'approvisionnement alimentaire, le tarissement des ressources en eau potable et les émanations toxiques des bombes ont créé les conditions d'une sous-alimentation chronique et du développement d'épidémies qui ne peuvent être soignées. Dans des hôpitaux détruits ou sans électricité, les blessés ne peuvent être opérés et sauvés. Un peuple désespéré erre dans les ruines du ghetto où il a été cantonné depuis plus de 70 ans. Aujourd'hui, comble du cynisme, il est bombardé à Rafah, là où il lui a été ordonné de se réfugier. Les médecins militaires qui ont parcouru les champs de bataille du monde y voient une situation sans précédent. Ils la comparent aux images du ghetto de Varsovie en 1942. Car il est pire que de tuer des êtres humains, c'est de les déshumaniser en le faisant.

Les faits sont là et il ne sert à rien d'épiloguer sur les intentions. Les coupables devront être jugés. Nous sommes cependant tous responsables. Et d'abord les gouvernements qui fournissent toujours des armes, des bombes et des moyens financiers au gouvernement israélien. Il suffirait ainsi que le gouvernement américain cesse son assistance intéressée pour que MM. Netanyahou, Ben Gvir et Smotrich n'aient plus les moyens d'agir. Il est donc complice, notamment lorsqu'il oppose son veto aux décisions du Conseil de sécurité des Nations unies imposant un cessez-le-feu et une aide humanitaire digne de ce nom.

Responsables aussi les chefs d'État des pays européens, paralysés par leur allégeance à l'OTAN.

Nous aussi, en tant que citoyens, qui ne nous engageons pas, ou pas assez, face à de telles atrocités, avons notre part de responsabilité. Particulièrement nous autres, Européens, qui aurions pu agir depuis 1947 et le pouvons encore aujourd'hui. Nous aurions dû, pour que justice soit faite au peuple palestinien et pour la sécurité du peuple israélien, mieux soutenir la solution à deux États sur laquelle tout le monde verse maintenant des larmes de crocodile, après avoir si peu fait pour la rendre possible. Aujourd'hui, nous devrions massivement manifester pour la paix ou, au moins, pour un cessez-le-feu. En luttant pour donner une réelle substance à la paix, celle d'un développement mutuel, créant un État palestinien viable, territorialement et économiquement, bénéficiant des moyens financiers et de la reconnaissance internationale lui permettant d'exister.

C'est l'objet du Plan Oasis, que l'on trouve sur le site de l'Institut Schiller, reposant sur un partage des ressources en eau dans toute la région, que les gouvernements israéliens se sont, eux, efforcés d'accaparer, et sur une plate-forme régionale d'infrastructures de nature à désenclaver les différentes régions de cette partie du monde et à faire reverdir le désert. Accomplissant ainsi ce que Paul VI appela « le développement économique, nouveau nom de la paix », et s'inscrivant dans le cadre de cette « Alliance globale contre la faim et la pauvreté » que le président brésilien Lula proposera au sommet africain d'Addis-Abeba.

Pour instaurer la confiance entre les deux peuples, les prisonniers palestiniens détenus en Israël devraient être libérés, à commencer par Marwan Barghouti, de même, bien entendu, que les otages israéliens. La paix exige toujours un pardon réciproque.

Utopie ? Oui, pour qui pense petit et sans principes. Non, pour qui mesure les terribles conséquences de ce qui se passe à Rafah et sait que laisser aller le monde dans la direction qu'il a prise conduit à un désastre pour tous. L'esprit du judaïsme devrait nous rappeler qu'il revient à nous tous de « recevoir tout homme avec un beau visage » et que, cela ne valant pas seulement pour Israël, « le juste des nations vaut le juste d'Israël ».

Source : Jacques Cheminade