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Pour Marc Azéma, séquences, montage, flash-back, le cinéma est apparu... dès la préhistoire. Edifiant.

Le cinéma est né voici plus de trente-cinq mille ans, dans les grottes décorées par les hommes du paléolithique. C'est la thèse révolutionnaire que, dans un livre superbe, soutient le préhistorien et documentariste Marc Azéma. Ces lieux ornés par les premiers Homo sapiens, il les connaît bien pour les avoir étudiés pendant vingt ans. Il fait aussi partie du comité scientifique de la grotte Chauvet, en Ardèche, la plus belle connue à ce jour.

D'ailleurs, c'est à la plus spectaculaire de ses fresques qu'est consacrée la première double page du livre: lions et mammouths entremêlés font une composition grandiose d'où on a l'impression que la poussière des combats va venir nous aveugler. Une telle maestria suppose des milliers d'années d'apprentissage. Il y a trente-cinq mille ans, quand Chauvet a été occupée, les artistes savaient produire des scènes complexes, composer des séquences successives, utiliser les surfaces pour produire ruptures ou moments sensationnels.

Pendant vingt-cinq mille ans, au moins, les Cro-Magnon ont exercé leurs talents dans le sud de la France et une partie de la péninsule Ibérique. Il en reste 350 grottes et quelques sites de plein air. Les grands animaux dominent, surtout des lions, bisons, cerfs et chevaux. Ici et là, des êtres fantastiques et des signes. L'homme est quasi absent, car il est auteur et spectateur. Avec des silex, des bâtons et leurs doigts, et trois couleurs, les créateurs ont prouvé leurs dons de mise en scène. Il faut les imaginer, seuls ou en groupe, un chaman comme guide, une torche à la main, entre panoramiques et travellings latéraux. Tout est bon pour enrichir le montage: plans rocheux, angles, creux, stalagmites. En juxtaposant ou en superposant les images, on crée le mouvement, comme si les auteurs connaissaient le principe de la persistance rétinienne.

Marc Azéma ajoute d'autres exemples de narration graphique annonçant le cinématographe: fresques des tombeaux égyptiens, peintures des guerriers Mochica, sculptures du Mexique ancien, colonne Trajane à Rome, bas-reliefs d'Angkor Vat, tapisserie de Bayeux ou rouleaux enluminés du Japon. Tous mélangent la narration et les flash-back. Méliès et les frères Lumière peuvent leur dire merci.