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L'Histoire a fait preuve de mansuétude envers l'Allemagne en faisant mine d'admettre que son peuple n'avait pas eu connaissance de l'Holocauste. Les masques pourraient tomber la semaine prochaine...

L'un, Sönke Neitzel est un prolixe historien du nazisme. Son compère Harald Welzer, psychosociologue qui planche depuis des années sur Mémoire et Violence, dirige à Essen, où il est né, le Centre de Recherche Interdisciplinaire sur la Mémoire.

Interrogé par Mediapart en juin 2009, Weltzer avait eu cette formule savoureuse et un brin visionnaire : « L'idée européenne n'est qu'une abstraction. C'est une énorme bureaucratie à laquelle il est difficile de s'identifier. Nos différences culturelles restent intactes ».

Ça ne risque pas de s'arranger dans les semaines qui viennent. Le duo d'universitaires sort en effet la semaine prochaine la version en langue anglaise de leur bouquin édité outre-Rhin chez S. Fisher en avril 2011 sous le titre « Soldaten : Protokolle vom Kämpfen, Töten und Sterben » qui avait fort logiquement été assez mal reçu par le public allemand, toutes classes d'âge confondues.

La version british titrée « Soldaten : Fighting, Killing and Dying : The secret WWII tapes on German POWs », qui arrive dans les bacs d'outre-Manche début octobre est un peu plus explicite.

Fin d'un mythe collectif

L'ouvrage, un recueil des transcriptions d'enregistrement des conversations de plus de 10 191 prisonniers de guerre allemands et 567 italiens durant leur séjour forcé à Trent Park au Nord de Londres entre 1939 et 1945, était destiné dans sa version originale à ouvrir les yeux de la jeune génération allemande qui feignait de croire que ses pères et grand-pères n'avaient pas de sang sur les mains et la conscience tranquille : seuls les SS et la Gestapo s'étaient mis au banc de l'humanité et le peuple allemand dans sa grande majorité ignorait tout de la solution finale et des massacres perpétrés à l'Est où périrent, en passant, 27 millions de soviétiques...

Un mythe collectif tenace qui n'a pas résisté à la déclassification, en 1996, de près de 150 000 pages de transcription des enregistrements des conversations tenues par les prisonniers allemands dans les 12 salles secrètement sous écoute du Centre de Détention de Trent Park.

C'est le MI19, l'une des sections opérationnelles du British Secret Intelligence Service qui les a réalisées et a retranscrit 64 427 conversations entre 1939 et 1945, dans le but d'obtenir des informations exploitables sur le terrain et susceptibles de faire pencher la balance en faveur des Alliés sur le champs de bataille.

Contre toute attente, les informations purement militaires ont été rares. En revanche les écoutes ont révélé l'indicible : que la thèse selon laquelle le génocide juif était le fait des seuls SS et des nazis fanatiques, et que la culture de l'extermination ne s'était pas propagée au sein de la Wehrmacht, était une simple vue de l'esprit. Même le général Dietrich von Choltitz qui bénéficie chez nous de circonstances atténuantes pour avoir refusé d'exécuter les ordres d'Hitler de détruire Paris, est gravement mis en cause par les archives britanniques pour avoir reconnu à Trent Park qu'il avait fait assassiner des juifs en Crimée entre 1941 et 1942.

Pour Sönke Neitzel, l'ouvrage commun avec Weltzer est une forme de récidive. Il avait déjà publié en anglais une première tranche des écoutes de Trent Park en 2007 dans un ouvrage publié sous le titre « Tapping Hitler's Generals : Transcripts of secret conversations, 1942-45 » (« les écoutes des généraux d'Hitler »), consacré aux transcriptions des conversations de 84 généraux nazis.

C'est dans l'une d'entre elles que l'on découvre ce propos de von Choltitz en octobre 1944 : « Nous sommes tous coupables. Nous avons tout cautionné et avons pris les nazis à demi au sérieux au lieu de dire "allez au diable avec vos stupidités". J'ai trompé mes soldats en les incitant à croire ces bêtises. J'ai profondément honte de moi. Peut être sommes nous plus coupables même que ces animaux sans éducation » (en référence aux caciques nazis).

À bout portant ? Affirmatif

La nouvelle version, l'intégrale donc, comporte des extraits déjà repris en boucle par les médias britanniques.

Celui du 14 août 1944, par exemple, où un certain Zotloeterer raconte ses faits d'armes en France à son pote Weber :
Zotloeterer : J'ai flingué un français à bicyclette par derrière

Weber : À bout portant ?

Zotloeterer : Affirmatif

Weber : Il voulait te faire prisonnier ?

Zotloeterer : Non ! J'avais juste envie de sa bicyclette...
Celui, aussi, où les agents du MI19 comprennent enfin la raison pour laquelle les membres des sections SS sévissant en Russie se plaignaient à Trent Park des énormes difficultés qu'ils avaient rencontrées pour abattre des enfants : les premiers enregistrements les avaient conduit à imaginer naïvement que les bourreaux nazis avaient pu être pris de remords. Jusqu'à ce qu'une conversation entre le général Ludwig Crüwell ( !) et l'un de ses collègues livre la clef de l'énigme : contrairement à leurs parents résignés qui attendaient immobiles leur exécution, les gamins s'agitaient dans tous les sens...

A en croire les archives de Trent Park, la thèse défendue par les nazis lors du procès de Nuremberg a été imaginée et exprimée pour la première fois par un certain Ferdinand Heim qui a suggéré à son interlocuteur d'un jour, Wilhelm Ullersperger : « Nous devons nous en tenir au principe selon lequel nous n'avons fait qu'obéir aux ordres. Nous ne devons pas varier de cette explication si nous voulons bâtir un système de défense un tant soit peu efficace... ».

Bientôt une version française ?

Si le bouquin fait un tabac Outre-Manche, il n'est pas impossible qu'il donne lieu à une version française. Harald Welser n'a-t-il pas déjà publié chez Gallimard « Les exécuteurs : Des hommes normaux aux meurtriers de masse » traduit de l'allemand par Bernard Lortholary ?

D'autant que l'insupportable et méprisante inflexibilité dont l'Allemagne contemporaine de Madame Merkel fait preuve au plan économique et budgétaire pourrait peut être trouver là un obstacle psychologique inattendu.

Après tout, une bonne petite (re)culpabilisation historique - passagère cela va sans dire - de notre premier partenaire commercial serait peut être le moyen le plus efficace de convaincre nos voisins et amis d'Outre-Rhin que ce serait vraiment un comble si l'unité européenne si improbable aux yeux de Harald Welzer, se faisait finalement contre eux à cause de vieux dossiers...