Le culte du sang

La Déesse Kamakhya
© InconnuKamakhya est une déesse qui saigne, représentée comme une jeune fille de 16 ans. La fleur rouge est son symbole, particulièrement l’hibiscus. Son nom signifie « déesse du désir » et elle repose dans son temple sous la forme d’un Yoni (vulve) en pierre dans la ville d’Assam, en Inde, un des pèlerinages les plus populaires.
Diabolisation du sang féminin, symbole de la matrilinéarité

Le sang féminin est le symbole du droit du sang maternel, de la lignée par le sang féminin. Les cycles menstruels rappellent aux femmes que leur corps est conçu pour donner la vie. Quand le sexe des femmes ne saigne plus, c'est qu'elles ne peuvent plus donner la vie (ménopause), ou au contraire, qu'elles sont en train de donner la vie (grossesse). Durant l'ère matriarcale, le mystère de la maternité a élevé la mère au rang de déesse. A l'avènement du patriarcat (reconnaissance de paternité), il a fallu diaboliser le sang des mères. C'est pourquoi les menstrues sont désormais jugées « impures », alors que chez les peuples matriarcaux, elles sont considérées comme sacrées.

Dans le bouddhisme, les femmes sont considérées impures, perverses et inférieures. Dans l'islam : « Éloignez-vous donc des femmes pendant les menstrues, et ne les approchez que quand elles sont pures » (Coran : sourate 2, verset 222).

Le tabou des menstrues

Dans le judaïsme primitif, les femmes proclamaient la Torah et prophétisaient; mais au temps de Jésus, elles n'étaient plus autorisées à proclamer la Torah à cause de leur « impureté » périodique. La plupart des jeunes filles juives étaient fiancées par leur père dès leur plus jeune âge. Les femmes juives étaient tenues pour être impures pendant leurs menstruations. Si par inadvertance, l'une touchait un homme pendant qu'elle avait ses règles, il était obligé d'entreprendre un rituel de purification long d'une semaine avant de retourner pour le culte au temple. Les femmes doivent prendre un bain rituel après le dernier jour de leurs menstrues, puis on leur introduit dans le vagin un linge blanc qui doit en ressortir aussi blanc, afin qu'elles puissent réintégrer la société. Ce bain rituel s'appelle « mikvé », et sert à purifier tout ce qui a été touché par des non-juifs (goyims), surtout la vaisselle, et purifier le corps des sécrétions sexuelles (après un rapport par exemple). Aujourd'hui encore, les femmes juives orthodoxes en période de menstrues sont exclues de la vie sociale.

Jésus guérit des menstrues

Dans l'Evangile de Marc, une femme souffrant d'hémorragies depuis douze ans était complètement bannie socialement. Jésus a remis en cause le tabou des menstrues. Il a miraculeusement guérit celle qui l'avait courageusement touchée en dépit du tabou (Mc 25).

Les menstrues dans la Torah
~ Lv15:19 à Lv15:22
Mikvé, bain de purification des menstrues et des goyims
© InconnuMikvé, bain de purification des menstrues et des goyims

« Lorsqu'une femme a un écoulement de sang et que du sang s'écoule de son corps, elle restera pendant sept jours dans la souillure de ses règles. Qui la touchera sera impur jusqu'au soir. Toute couche sur laquelle elle s'étendra ainsi souillée, sera impure ; tout meuble sur lequel elle s'assiéra sera impur. Quiconque touchera son lit devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir. Quiconque touchera un meuble, quel qu'il soit, où elle se sera assise, devra nettoyer ses vêtements, se laver à l'eau, et il sera impur jusqu'au soir. »
~ Lv12:1à Lv12:7 - Yahvé parla à Moïse et dit :
« Parle aux Israélites, dis-leur :

Si une femme est enceinte et enfante un garçon, elle sera impure pendant sept jours comme au temps de la souillure de ses règles. Au huitième jour on circoncira le prépuce de l'enfant et pendant trente-trois jours encore elle restera à purifier son sang. Elle ne touchera à rien de consacré et n'ira pas au sanctuaire jusqu'à ce que soit achevé le temps de sa purification.

Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines, comme pendant ses règles, et restera de plus soixante-six jours à purifier son sang.
Quand sera achevée la période de sa purification, que ce soit pour un garçon ou pour une fille, elle apportera au prêtre, à l'entrée de la Tente du Rendez-vous, un agneau d'un an pour un holocauste et un pigeon ou une tourterelle en sacrifice pour le péché. Le prêtre l'offrira devant Yahvé, accomplira sur elle le rite d'expiation et elle sera purifiée de son flux de sang. Telle est la loi concernant la femme qui enfante un garçon ou une fille. »
Circoncision du prépuce & sanctification du sang masculin

La fellation du bébé par le rabbin au moment de la circoncision
© InconnuLa fellation du bébé par le rabbin au moment de la circoncision
Une fois le sang féminin diabolisé, il a fallu sanctifier le sang masculin, afin de glorifier la lignée du « sang paternel ». Hors, le sexe masculin ne saigne pas comme celui des femmes. La circoncision est donc apparu comme l'équivalent artificiel des menstrues féminines.
« Le véritable but, c'est la douleur corporelle à infliger à ce membre... Car, si, dès la naissance on fait saigner ce membre en lui ôtant sa couverture, il sera indubitablement affaibli. » ~ Moïse ben Maïmon - Guide des Égarés - Volume III, Chapitre 39
« Le père et la mère n'éprouvent pas pour le nouveau-né l'amour qu'ils éprouvent pour l'enfant d'un an, et ils n'aiment pas l'enfant d'un an autant que celui de six ans. Si donc on laissait l'enfant deux ou trois ans (sans le circoncire), cela aurait pour conséquence de négliger la circoncision, par l'affection et l'amour qu'on aurait pour l'enfant. » ~ Moïse ben Maïmon - Guide des Égarés - Volume III, Chapitre 39
Vidéo : le rabbin Rav Ron Chaya explique la circoncision juive

Vidéo : dans le judaïsme, lors de la « metzitzah », le « mohel » (rabbin circonciseur) suce le sang du pénis circoncis du bébé, au 8e jour, et sans anesthésie

Pour marquer la propriété du père, et du dieu-père

Dans le protestantisme, la douleur de la circoncision est glorifiée pour expier et prévenir le péché de la chair, comme la fornication (sexe hors mariage) et la masturbation, celle-ci toujours interdites dans les textes de loi des états du sud des USA. La circoncision permet aussi de briser prématurément la fusion charnelle mère-enfant (théorie du Continuum), ainsi que le lien de confiance maternel : l'enfant se sent abandonné et trahi par sa mère. Elle permet aussi d'affirmer la puissance paternelle sur l'enfant, en sacrifiant une partie de son corps pour le dieu-père. La circoncision est aussi une relique du sacrifice du 1er né (Abraham).

Excision de la vertu, la chasteté sans plaisir
Petite fille deviendra une femme chaste et vertueuse.
© InconnuPetite fille deviendra une femme « chaste et vertueuse »
L'équivalent féminin de la circoncision est l'excision. L'ablation du clitoris permet de supprimer le plaisir sexuel des femmes afin de prévenir la sexualité extra-conjugale, et ce, afin de garantir encore une fois la reconnaissance de paternité. D'autre part l'excision fait souvent office de rite de passage et de reconnaissance de la petite fille dans sa société. Dans de nombreux cas, on observe que les mères participent activement aux mutilations de leur(s) fille(s), sous la pression des pères et des maris, dans le but d'améliorer leurs chances de faire un « bon » mariage. En effet, une jeune-fille non-excisée ne trouvera pas de mari. L'excision est actuellement défendue au nom de :
  • la préservation de la virginité (garant de la reconnaissance de paternité),
  • l'amélioration du plaisir sexuel masculin (par le rétrécissement du vagin ou de l'orifice vaginal),
  • l'interdiction de l'accès à l'orgasme des femmes (considéré comme malsain par les partisans de l'excision),
  • raisons hygiéniques,
  • raisons esthétiques,
  • patrimoine culturel ou traditionnel (initiation à l'état de femme, peur que le clitoris n'empoisonne l'homme ou l'enfant à la naissance...).

  • La castration de la femme et de l'homme

    Le clitoris est souvent considéré comme une imperfection de la création divine, un résidu masculin devant être ôté pour que la femme soit finie. De la même manière la circoncision ou ablation du prépuce est censée enlever à l'homme la partie féminine restante. La psychanalyste Marie Bonaparte a écrit : « Les hommes se sentent menacés par ce qui aurait une apparence phallique chez la femme, c'est pourquoi ils insistent pour que le clitoris soit enlevé ». Elle est caractérisée comme « la relation d'appropriation qui veut que chaque femme soit la propriété d'un homme » par Thomas Sankara dans sa campagne contre l'excision.

    Vidéo : excision au Mali : « Ils ont décidé de contrôler la sexualité des femmes »

    Une pratique favorisée par l'islam

    Ainsi, actuellement, l'essentiel des populations qui pratiquent ces mutilations sexuelles est musulman. En effet, si le Coran ne prescrit aucune obligation d'excision, trois hadiths sont utilisés par les savants recommandant ou prescrivant sa pratique pour la justifier religieusement. Est notamment mentionné, le hadith rapportant que Mahomet recommanda à une exciseuse « Effleure et n'abuse pas, car cela rend le visage plus rayonnant et est plus agréable pour le mari. ». De même, un autre hadith indique que « La circoncision est une tradition louable pour les hommes et un honneur pour les femmes. ». Dans tous les cas, si ces hadiths permettent à certains savants de recommander ou obliger l'excision, les savants défavorables à sa pratique soulignent que les chaînes de transmissions qui soutiennent ces textes seraient trop faibles pour cautionner une pratique aussi grave, d'autant qu'aucun ne mentionne d'obligation formelle. Ainsi, considérer la femme comme responsable de tous les manquements à la morale et aux bonnes mœurs, légitime le contrôle strict de son comportement sexuel. La littérature juridique qui parle de l'excision, sans la recommander formellement, l'évoque sous le vocable de « khafdh » ou « khifâdh » qui signifie l'affaiblissement du plaisir sexuel.

    Vidéo : excision en Égypte islamique. « Il s'agit de réduire les besoins sexuels »

    Il existe aussi certaines communautés chrétiennes au Ghana ou au Togo qui pratiquent les mutilations sexuelles ainsi que la communauté juive des Falashas. D'autres communautés comme les dawoodi bohras, une communauté chiite ismaélienne, venue d'Égypte, et maintenant installée dans l'ouest de l'Inde, continuent de la pratiquer.

    La circoncision et l'excision chimique selon le Dr Kellogg (1852- 1943)

    Comme certains réformateurs sanitaires de l'époque, Kellog pensait qu'il ne fallait pas dépasser plus d'un rapport sexuel par mois pour des raisons de santé. Il recommandait que les femmes de moins de vingt ans et les hommes de moins de vingt-cinq ans pratiquent l'abstinence sexuelle, soulignant les dangers connus par la science de l'époque (tels que les maladies sexuellement transmissibles). Kellogg considéra que certaines activités sexuelles, des « excès » (comme la sodomie) étaient contre nature et dangereuses pour la santé des couples mariés. Il prit appui sur les avertissements de William Acton et exprima son soutien aux travaux d'Anthony Comstock.

    La masturbation, un désastre pour l'humanité

    Au début de sa carrière, il écrivit et présenta des séminaires sur la sexualité. Il déconseilla fortement la masturbation, estimant qu'elle détruisait la santé physique et mentale, mais aussi morale des individus. Comme de nombreux praticiens de l'époque, il pensait sincèrement que la pratique du « vice solitaire » - comme on l'appelait - causait le cancer de l'utérus, des maladies urinaires, des émissions nocturnes, l'impuissance, l'épilepsie, la folie, la débilité physique et mentale, « l'obscurcissement de la vision » (brièvement mentionné). Pour les sources médicales de l'époque, « ni la peste, ni la guerre, ni la petite vérole, ni les maladies similaires, n'ont produit de résultats aussi désastreux pour l'humanité que l'habitude pernicieuse de l'onanisme » (Dr. Adam Clarke). Estimant que la masturbation était la cause de certaines morts, Kellogg déclara que des « victimes mourraient littéralement de leurs propres mains ».

    Il préconisa de traiter les masturbateurs, en recommandant la circoncision aux jeunes garçons et l'application de phénol (acide carbolique) sur le clitoris des jeunes filles. Dans Plain Facts for Old and Young, il écrivit :
    « Un remède qui est presque toujours couronné de succès chez les garçonnets est la circoncision, en particulier lorsqu'il apparait un phimosis. L'opération devrait être effectuée par un chirurgien sans anesthésie, car la brève souffrance qu'en ressentira l'enfant aura un effet salutaire sur son esprit, en particulier si elle est reliée à l'idée de punition, ce qui pourrait bien être le cas parfois. La douleur qui se prolonge pendant plusieurs semaines interrompt la pratique, et, si elle n'a pas été trop profondément enracinée auparavant, elle peut alors être oubliée pour ne jamais revenir. »
    Il écrivit par ailleurs :
    « Chez le sexe féminin, l'auteur a constaté que l'application d'acide carbolique pur sur le clitoris était un excellent moyen de calmer toute excitation anormale. »
    Kellogg proposa également de mettre aux adolescents des bandes de pansement aux mains, de les attacher, de couvrir leur sexe au moyen d'une cage
    Moïse Cornu par Michel-Ange, dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens (Italie)
    © InconnuMoïse Cornu par Michel-Ange, dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens (Italie)
    brevetée, de leur coudre le prépuce ou de leur administrer des décharges électriques.

    Le point de vue extrême de Kellogg sur la sexualité ne fut jamais un enseignement officiel de l'Église adventiste. Durant l'existence d'Ellen White, sa fondatrice, certains Américains - même parmi des adventistes - prônaient l'abstinence sexuelle sauf pour avoir des enfants, pensant atteindre un idéal de sainteté. Ellen White s'opposa systématiquement et vigoureusement à ces campagnes anti-sexuelles. Elle déclara que ces idées ne venaient pas de Dieu et qu'elles « conduiraient aux péchés les plus sombres et à l'immoralité la plus grossière ». Elle mit en valeur une sexualité conjugale normale, affectueuse et aimante, sans restrictions indues.

    Sacrifices d'enfants : le meurtre des premiers nés

    Le sacrifice humain était une pratique courante chez les anciens hébreux. L'Ancien testament, en certains passages, proscrit le sacrifice humain, mais en d'autres, impose d'immoler les hommes voués au Seigneur : « Tout ce qu'un homme dévouera par interdit à l'Éternel, dans ce qui lui appartient, ne pourra ni se vendre, ni se racheter, que ce soit une personne, un animal, ou un champ de sa propriété ; tout ce qui sera dévoué par interdit sera entièrement consacré à l'Éternel. Aucune personne dévouée par interdit ne pourra être rachetée, elle sera mise à mort » (~ Lévitique, chap. XXVII, v. 28-29, traduction de la bible de Louis Segond de 1910)

    Moïse et le sacrifice des bébés, dans la Torah (Pentateuque) :
    « Consacre-moi tout premier-né, tout ce qui naît le premier parmi les enfants d'Israël, parmi les hommes et parmi les bêtes ; il est à moi. Et quand ton fils t'interrogera un jour, en disant « Que signifie cela ? », tu lui diras « Par sa main forte l'Éternel nous a retirés d'Égypte, de la maison de servitude ». » ~ Exode - Chapitre 13 /2
    Quand Yahvé extermine tous les premiers nés d'Egypte
    © InconnuQuand Yahvé extermine tous les premiers nés d'Egypte
    « Et il arriva, quand Pharaon s'obstina à ne point nous laisser aller, que l'Éternel tua tout premier-né dans le pays d'Égypte, depuis le premier-né de l'homme jusqu'au premier-né du bétail ; c'est pourquoi, je sacrifie à l'Éternel tous les mâles qui naissent les premiers, et je rachète tout premier-né de mes fils. » ~ Exode - Chapitre 15
    Si Abraham, premier patriarche des hébreux, a failli égorger son fils Isaac, c'est bien parce que la pratique était courante. On se rappellera aussi de l'épisode de Jephté (Livre des Juges, chapitres 10, 11, 12) qui offrit sa propre fille en sacrifice pour sa victoire militaire sur les Ammonites. L'archaïque rituel des sacrifices d'enfants, d'Isaac à Chronos et Œdipe, en passant par les enfants de Médée, ou celui du roi crétois Idoménée sur son propre fils lors de la guerre de Troie... ces meurtres ont reçu une explication historique en liaison avec
    Abraham (Brahma des Védas aryens) d'Ur (Sumer) sur le point de sacrifier son fils au dieu-père Yahvé (Baal)
    © InconnuAbraham (Brahma des Védas aryens) d'Ur (Sumer) sur le point de sacrifier son fils au dieu-père Yahvé (Baal)
    le changement du droit de filiation.

    La fin d'un conflit de filiations

    Lorsque les sociétés passèrent de la filiation maternelle à la filiation paternelle, se déclencha l'immense tragédie des « enfants de la discorde ». Le plus ancien droit est le droit maternel qui reconnaissait la filiation en ligne matrilinéaire et intégrait les enfants au groupe de la mère. Ce groupe était constitué des grands-mères et de leurs frères, des mères et de leurs frères, les oncles, et de tous les enfants des mères. Dans la culture matrilinéaire les enfants sont sous la responsabilité, d'une part des femmes (leur mère, grands-mère et tantes); d'autre part des hommes de la parenté, leurs « pères sociaux », à savoir les frères de la mère, les oncles, et les anciens. Ces hommes sont donc les responsables des enfants de leur sœur, nièce, petite-nièce. Qu'il y ait quelque part ailleurs des enfants nés de leurs amours avec d'autres femmes, cela est probable mais n'engage aucune obligation puisque c'est un autre groupe familial, celui de l'amante, qui en assume la responsabilité. La charge des enfants incombait donc au groupe maternel entier.

    Quand ce droit fut remplacé par le droit paternel, la société fut totalement désorganisée. « La plus grande révolution de la Grèce archaïque est celle qui substitua la descendance patrilinéaire à la filiation matrilinéaire et détruisit l'intégrité des clans ». En effet, il fallut disloquer les traditionnels groupes maternels pour former de nouveaux groupes associant chaque femme au géniteur qui deviendrait père de ses enfants. Le mariage était né. La responsabilité des enfants passa donc des groupes maternels aux groupes paternels. Ce changement suscita l'apparition d'une terrible rivalité entre les frères des mères (oncles des nouveau-nés et traditionnellement leurs pères), et les époux des mères (nouvellement promus pères). Il va de soi que l'introduction de la filiation paternelle bouleverse cet équilibre et disloque les groupes familiaux. En effet, si les hommes deviennent responsables des enfants de leurs amantes, les choses se compliquent pour eux. Cela signifie que le nouveau-né est sous la responsabilité habituelle de sa mère et de son oncle, mais aussi et maintenant de son géniteur. Les oncles doivent - mais ne peuvent - désormais renoncer à une responsabilité qu'ils ont exercée pendant des millénaires; par ailleurs, les voilà chargés des enfants qu'ils ont engendrés, appartenant traditionnellement à un autre groupe. Ces dualités déclenchèrent des tiraillements souvent meurtriers, des luttes fratricides, des solutions sanguinaires.

    Baal-Moloch, le nouveau dieu-père

    Les historiens
    Sacrifice par le feu (Molk - Moloch) du premier né à Baal, dieu-père de Carthage (Tunisie)
    © InconnuSacrifice par le feu (Molk - Moloch) du premier né à Baal, dieu-père de Carthage (Tunisie)
    attachent à cette période de transition la coutume de « sacrifice des premiers-nés » considérant que ce geste pouvait avoir pour but de marquer le renoncement de chaque groupe à la possession du premier enfant d'un couple. Ces « enfants de la discorde » furent sacrifiés en signe d'apaisement et de renoncement des deux familles rivales à leurs prérogatives sur ces enfants. Ces rivalités provoquèrent des hostilités meurtrières dont le meurtre des premiers-nés constitua une solution transitoire. Ainsi, le premier né n'appartiendra ni à l'oncle maternel, ni au père, mais sera désormais consacré aux dieux nouveaux, aux dieux-pères. Symboliquement, ce meurtre apparaît comme un « partage » de l'enfant. Ne fallait-il pas trancher le lien de sang matrilinéaire pour faciliter la liquidation de la famille tiraillée entre deux « pères » et l'instauration de la nouvelle famille patrilinéaire ? La circoncision en est un vestige. Les nombreuses « immolations d'enfants » narrées dans le corpus mythique, relatif à la Toison d'Or ou à d'autres récits, ont très certainement un lien avec la généralisation du droit paternel.

    Meurtre du fils et meurtre du père

    Saturne dévorant l'un de ses enfants, par Rubens
    © InconnuSaturne dévorant l'un de ses enfants, Rubens

    Le meurtre du père par le fils, et vice versa, est un thème récurrent dans la mythologie grecque (Ouranos, Chronos & Zeus, Jason & Eson, Persée & Acrisios...), et semble avoir pour origine, d'une part le complexe d'œdipe (qui met dès sa naissance l'enfant en concurrence avec son père pour s'accaparer la mère), et d'autre part, la mère qui élève l'enfant dans la haine du père, puisqu'à l'origine, le mariage est un viol, une prostitution sacrée. Ainsi, Gaïa (déesse-mère de la Terre) complote avec ses enfants le meurtre de leur père Ouranos, dieu du ciel.
    Cronos dévorant l'un de ses enfants, par Rubens
    © InconnuCronos dévorant l'un de ses enfants, Rubens
    Et c'est en représailles qu'est apparu le meurtre de la mère. C'est pourquoi le père en retour, a tendance à assassiner son premier enfant, afin d'affirmer sa puissance paternelle (en droit romain : patria potestas du pater familias), et ainsi prévenir toute rébellion (Cronos, dieu du temps, qui dévore ses propres enfants)...

    Les archéo-historiens rattachent les mythes d'Ouranos, Cronos, Œdipe, Médée et bien d'autres, à cette période historique qui fut une charnière. On voit en outre que le mariage est une institution étroitement liée à ce changement du droit de la filiation. Ce n'est que par le mariage que le géniteur pouvait faire reconnaître son droit de paternité ; c'est le mariage qui le faisait père des enfants de son épouse. Sans mariage pas de paternité. Il y eut donc simultanéité historique entre la création du mariage, la préemption des enfants par le géniteur, le sacrifice des premiers-nés, et le meurtre du père, puis de la mère.