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© Lennart Tange/Flickr La tique est la principale responsable de la transmission de la maladie de Lyme
Certains parlent de "pandémie". Le nombre d'infectés par la maladie de Lyme est régulièrement revu à la hausse. Transmise par morsure de tique, la borréliose est encore peu connue et souffre de tests déficients. Les autorités françaises sont très à la traîne.

Etre mordu par une tique, c'est banal pour qui cueille ses champignons en forêt. Perchée sur une herbe haute, elle plante ses crocs et déverse ses bactéries sous la peau. Or quelques uns de ces acariens, ceux porteurs de la bactérie Borrelia, transmettent une pathologie grave, la maladie de Lyme. Une infection affectant le cerveau, le coeur, le système immunitaire... et qui est pourtant encore très mal connue.

Voilà qui a le don d'hérisser le poil du Prix Nobel de médecine Luc Montagnier, qui pointe une "totale ignorance sur le sujet". "Il est lamentable que les pouvoirs publics et les autorités de santé n'aient pas une politique cohérente sur la maladie de Lyme", martèle le codécouvreur du sida lors d'un colloque organisé ce dimanche à Strasbourg.

Une polémique vive

Mêlant plus de 70 symptômes, le diagnostic de la maladie de Lyme est très difficile à poser. Quant aux tests sanguins employés, ils sont extrêmement controversés. Détectée trop tard, cette affection peut entraîner des troubles neurologiques graves, irréversibles et handicapants. Résultat, les polémiques sont vives entre les malades qui s'estiment lésés et les autorités médicales qui assurent se plier aux règles.

Chaque année, selon le décompte officiel, plus de 27 000 personnes sont touchées sur le sol français. Cette estimation est avalisée par le Centre national de référence (CNR) des Borrelia, situé à Strasbourg, mais contestée par l'association Lyme sans frontières, qui regroupe les malades en colère. Cette dernière estime que le nombre de personnes atteintes est "dix fois plus" important.

Le "déni" des autorités

C'est une véritable guerre des chiffres. Les associations sont suspectées de gonfler les leurs. Mais, rien qu'en Allemagne, l'estimation basse est de 500 000 nouveaux cas par an... soit 19 fois plus qu'en France ! Ce hiatus, moins prégnant en Alsace, l'une des régions les plus touchées, dévoile le gouffre entre les méthodes de diagnostic des deux côtés du Rhin. Qu'à cela ne tienne : les responsables sanitaires sont accusés de "déni" et d'"omerta".

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© INVSLa répartition de la maladie de Lyme en France selon l'Institut de veille sanitaire en 2013
"En France, les autorités restent discrètes et des responsables sanitaires continuent de classer cette pathologie comme une 'maladie rare'", arguent le journaliste Robert Lenglet et la réalisatrice Chantal Perrin dans L'affaire de la maladie de Lyme (Actes Sud, 2016), une enquête fouillée sur la pathologie.

Y est reproché aux autorités médicales de sous-estimer l'ampleur de la maladie. "Pareille attitude abandonne de nombreux malades aux erreurs de diagnostic et à l'errance médicale", écrivent les auteurs. Ils jettent une lumière crue sur les enjeux qui enveloppent la borréliose : "Tests déficients, formation médicale insuffisante, attribution des crédits à des secteurs plus lucratifs, déni des autorités et intimidations contre les médecins et les chercheurs..."

Des dépistages controversé

Pour les autorités, une prise d'antibiotiques guérit le plus souvent de la pathologie. Encore faut-il la détecter convenablement alors qu'elle est aussi l'objet de tests défectueux. Les faux négatifs et les tests biaisés pullulent. Seul diagnostic biologique couramment employé en France, le test Elisa, qui doit être complété par un Western Blot, détecte les anticorps lors d'un prélèvement sanguin. Or certains patients infectés ne développent pas ces anticorps.

"La sérologie des patients n'est pas fiable", explique à L'Express le professeur Christian Perronne, vice-président de la Fédération française contre les maladies vectorielles à Tiques. En pointe dans le combat contre Lyme, il dirige le service des maladies infectieuses à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine).
"Les Borrelia, on ne s'en débarrasse pas avec quatre mois d'antibiotiques. Sous des formes persistantes, elles se réveillent par cycles."
Des souches de la bactérie difficiles à détecter

Ces dépistages sont l'un des terrains-clé sur lesquels s'écharpent les spécialistes. De plus en plus de souches de la borrélie de Lyme sont découvertes. Toutes pourtant n'entrent pas dans le radar d'Elisa, qui ne teste le patient qu'avec trois espèces de bactérie.

"Il y a des antigènes dominants qui croisent entre les espèces", affirme toutefois à Rue89 Strasbourg le professeur Benoît Jaulhac, ardent défenseur des tests sanguins de type Elisa. A la tête du Centre national de référence (CNR) des Borrelia dans la ville alsacienne, il a réalisé des travaux d'expertise pour les laboratoires bioMérieux (groupe Sanofi), l'un des leader français sur le marché des tests Elisa. A L'Express, il précise que "les tests Elisa sont utilisés de façon inadaptée".

"En réalité, il y a très peu de réactions croisées entre les espèces de Borrelia", le contredit Christian Perronne, qui fustige les "sornettes" du CNR. Pour l'heure, plusieurs études, dont celle du docteur Liesbeth Borgermans, indiquent que le test Elisa ne détecte que 30 à 50% des malades. Est souvent cité en contrepoint le test allemand Elispot, plus sensible, car il interroge la mémoire des lymphocytes.

Des test "mal calibrés"

Les recommandations européennes (de l'EUCALB) reposent sur l'idée que Lyme est une maladie rare. De fait, "les populations ayant servi à calibrer les tests n'ont jamais été définies correctement", assure le professeur Perronne, comme l'a relevé la revue Médecine et maladies infectieuses. "Il faut abandonner les sérologies [de type Elisa] dans le domaine des borrélioses et des co-infections, puisqu'on est incapable de les calibrer. Il faut revenir à des méthodes de diagnostic direct."

Des diagnostics directs... comme la méthode clinique. Quelques jours après la morsure, il apparaît souvent une éruption cutanée rouge, qui se déplace en grandissant, ce qu'on appelle un érythème migrant. Entre 44 et 70% des patients le développent et beaucoup de médecins pourraient la détecter... Mais beaucoup la confondent avec une piqûre de moustique.

Une maladie chronique

Du côté de ceux qui contredisent l'approche officielle, le plus urgent est de reconnaître que la borréliose de Lyme peut dégénérer et devenir chronique. "Les scientifiques et les médecins n'ont pas beaucoup l'habitude de maladies chroniques de longue durée qui soient induites par des bactéries", explique à L'Express le professeur Luc Montagnier. Ce qui bloque aussi les détections. Les tests en vigueur "sont moins efficaces quand la réponse immunitaire a décliné, en particulier dans la phase chronique".

Colossal, le nombre de symptômes provoqués par la maladie n'aide pas à sa reconnaissance. "Il y a une sous-estimation du diagnostic de la maladie qui tient en partie au fait qu'il y a peu de symptômes spécifiques", abonde encore le scientifique. Arthrose, fièvre, sautes d'humeur, palpitations cardiaques... Tous ne se sont pas concomitants, certains ne se déclencheront jamais.

Symptômes multiples ou maladie "fourre-tout" ?

"Ce qu'on appelle 'forme chronique' de la maladie de Lyme, c'est devenu un fourre-tout, on met beaucoup de choses à l'intérieur, sans savoir si c'est réellement dû à Borrelia", soupire le professeur Benoît Jaulhac du centre de référence sur Lyme. Pour le docteur Pierre Kieffer, du CHU de Mulhouse, certaines douleurs ont même une "composante psychologique". Dans un rapport paru en 2014, le Haut conseil de la Santé publique évoque des symptômes "post-Lyme" ou "Lyme-like", "d'autant plus difficiles à comprendre qu'ils seraient parfois améliorés par les antibiotiques".

Reste qu'avec la multiplication des symptômes sans cause apparente, de nombreux patients, parfois cloués dans un fauteuil roulant, sont "baladés" de médecin en médecin, et parfois traités d'hypocondriaques, selon les membres de "Lyme sans frontières". Les condamnant à l'errance médicale durant des années.