J'ai plusieurs fois entendu qu'il n'existait pas de mode d'emploi pour me comprendre pourtant je me trouve paradoxalement plutôt simple dans mon fonctionnement. Pour aider ceux et celles qui auraient un quelconque intérêt pour ma petite personne, et que je remercie d'ailleurs, j'ai décidé d'écrire ce « mode d'emploi ». Puisse-t-il nous aider à mieux communiquer et à entretenir des relations plus harmonieuses.
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Moi c'est Emilie, j'ai 34 ans, et à première vue je mène une vie normale...A première vue j'ai bien dit ...

La première chose à savoir sur moi est que mon cerveau fonctionne différemment de celui de la majorité des personnes. J'ai longtemps cherché la cause de mes particularités, et j'ai déjà trouvé un début d'explication grâce au diagnostic de Haut Potentiel Intellectuel reçu à mes 25 ans. Je n'aime pas trop cette appellation car elle sous-entend que j'ai quelque chose de plus que les autres, alors qu'au contraire moi je le vis comme un handicap.

Concrètement comment cela se traduit-il ?

Disons que j'ai plus de connexions neuronales que la plupart et surtout que les informations circulent plus vite dans mon cerveau que dans un cerveau dit neuro typique. Autrement dit, non seulement je capte plus d'informations, mais je les traite aussi plus vite.

Les conséquences sont multiples : j'ai une vue d'ensemble des situations, je fais des liens entre divers éléments là où en général personne n'aura pensé à en faire, ce qui me permet souvent de trouver des solutions originales aux problèmes, on appelle cela la pensée arborescente, contrairement aux neuro typiques qui ont une pensée linaire, c'est-à-dire qu'ils ne traitent qu'une donnée à la fois.

Comme je traite les informations plus rapidement, je comprends donc plus rapidement et je m'ennuie plus rapidement. C'était très problématique à l'école où il fallait attendre que tous les autres aient terminé pour passer à la leçon suivante. Au travail j'ai appris à délayer mon travail dans le temps pour ne pas me retrouver comme au début de ma vie professionnelle à faire le travail de 3 employés pour le même salaire, sous prétexte que j'étais « tellement efficace ». Donc clairement je passe des journée entières à glander devant mon ordinateur en attendant que la semaine passe et je concentre tout mon travail en une journée ou deux.

Une autre conséquence c'est la curiosité, ou plutôt le papillonnage intellectuel, j'adore apprendre, d'ailleurs petite je pleurais les jours où il n'y avait pas école. J'ai de nombreux diplômes dans des domaines divers et variés, mais pour lesquels je considère que je n'ai aucun mérite puisque c'était facile pour moi. Tout m'intéresse et je passe rapidement d'un sujet à un autre, je n'aime pas aller en profondeur car je m'ennuie vite mais j'ai des connaissances de surface dans beaucoup de domaines. Cela a rendu mes relations sociales compliquées dans la mesure où je ne m'intéressais jamais aux sujets qui passionnaient les personnes de mon âge. D'ailleurs cet ennui constant fait que je déménage aussi très souvent.

Du fait de mes particularités neuronales je souffre de ce qu'on appelle le déficit d'inhibition latente : mon cerveau a du mal à faire le tri entre tous les stimulus qu'il perçoit et à mettre au second plan ceux qui ne seraient pas importants. L'exemple typique est la conversation dans un milieu bruyant, j'aurai énormément de mal à me concentrer sur ce que vous me dites si quelqu'un d'autre parle à côté, car j'entendrai tous les bruits avec le même volume sonore.

Même si le HPI permet d'expliquer certaines de mes particularités, cela n'explique pas tout et il se trouve que le diagnostic est incomplet, j'ai également le syndrome d'Asperger. C'est une forme d'autisme léger d'origine génétique qui expliquerait mes difficultés principalement dans les interactions sociales.

On me dit souvent égoïste dans la mesure où je ne m'intéresse pas à l'actualité, ni aux problèmes d'autrui de façon générale. Disons que j'ai une vision rationnelle et intellectuelle des situations et non émotionnelle. Typiquement le jour où j'ai appris les attentats de Charlie Hebdo, soit 2 jours après tout le monde puisque je ne regarde pas la télé, ni ne lis la presse, ma réaction a été de me dire que c'était dommage que Coulibaby soit mort car il était mignon. Vous trouvez cela certainement horrible, moi ça me laisse assez indifférente.

Comme je ne vis pas les émotions de la même manière, il faut me dire explicitement ce qu'on attend de moi pour que je puisse agir de manière appropriée, car je considère que ce n'est pas de ma responsabilité de deviner les états d'âme d'autrui. On croit souvent qu'il s'agit d'un manque d'empathie, que je ne ressens pas d'émotions, mais cela est faux, je pleure devant les dessins animés, je ne regarde aucun film interdit aux moins de 12 ans, je pleure aux enterrements d'inconnus en voyant les familles tristes...C'est au contraire une hypersensibilité qui m'a poussée à cadenasser mes émotions, jusqu'à les anesthésier complètement.

Je ne possède pas toujours les codes sociaux appropriés, ce qui en milieu professionnel peut vite devenir très compliqué, je me suis faite virer ainsi car je ne voyais pas la nécessité d'informer mon N+1 que je souhaitais m'entretenir avec mon N+2, je n'ai pas compris que la N+1 s'en offusque et j'ai fait un scandale en disant que c'est elle qui manquait de confiance en elle et se sentait menacée et que ce n'était pas mon problème.

Comme émotionnellement tout me fatigue très vite j'ai un énorme besoin de solitude et de calme, j'ai abandonné un chat dans un parc sans état d'âme car je ne souhaitais plus avoir de contrainte, j'ai laissé plusieurs fois ma fille seule dans l'appartement alors qu'elle n'avait que 6 ou 7 ans pour aller me réfugier à la bibliothèque de ma commune et ne plus être sollicitée.

Je souffre également d'une anxiété sociale. Toute activité de groupe m'est impossible, les soirées, fêtes, les activités de cohésion d'équipe sont des choses insupportables et je me réfugie dans les toilettes les plus proches quand je suis obligée d'y assister. Quand je dois me rendre dans un lieu que je ne connais pas, je m'arrange pour y aller quelques jours avant le jour J histoire de reconnaître l'environnement, le temps de trajet et d'éviter le maximum d'aléas. Tous mes déplacements sont réglés comme du papier à musique et je suis d'une ponctualité maladive. Je suis très rigide concernant mes valeurs et je suis capable de quitter un emploi du jour au lendemain si jamais je constate que je ne suis plus en accord avec mes valeurs.

Les gens sont pour moi une contrainte plus qu'un bénéfice. Je déteste avoir à leur téléphoner, et je préfère restreindre mes communications à l'écrit. Je me sens envahie dès qu'on me sollicite et agressée lorsqu'on me téléphone. De ce fait je n'ai aucun ami et j'en souffre souvent. J'ai essayé de m'investir dans plusieurs relations amicales mais ils ont tous fini par partir sans explication.

D'ailleurs je peux vite devenir obsessionnelle quand je ne comprends pas une situation, quitte à harceler la personne pendant des semaines ou des mois pour obtenir une explication et pouvoir ainsi passer à autre chose.

Je filtre les appels la plupart du temps pour ne pas être prise au dépourvu et pouvoir préparer ma réponse avant de rappeler, d'ailleurs en général je ne rappelle pas, dans le meilleur des cas j'envoie un SMS ou un email s'il s'agit d'un contact professionnel. Petite j'imaginais des heures et des heures de conversation dans ma tête, en français et en anglais au cas où un jour on me poserait une question et que je devrais répondre.

Je ne comprends pas qu'on ne puisse pas se tenir à ce qu'on dit, et j'ai tendance à prendre les choses au pied de la lettre. Cela fait de moi une maman très fiable, si je dis à ma fille qu'elle aura un téléphone à telle date, alors elle l'aura, si je promets je tiens toujours parole et je ne comprends pas que d'autres ne le fassent pas, cela me plonge dans une grande tristesse quand on me trahit ainsi.

Quand je suis angoissée ou que je m'ennuie je suce mon pouce, et quand je suis très enthousiaste je tape des mains et je saute sur place comme une enfant, c'est ce qu'on appelle des stéréotypies.

J'ai un intérêt restreint qui est la lecture, autrement dit je peux passer mes journées à lire, ou à acheter des livres, ou à ranger mes livres. Je passe à la librairie environ 3 fois par semaine et plus en cas de déprime.

Je fais des épisodes d'effondrement émotionnel quand j'ai atteint mon trop-plein, je peux alors tout envoyer valser dans ma vie du jour au lendemain, et avoir des pensée suicidaires.

Je suis très sensible au manque de sommeil, et au bout de 2 - 3 jours maximum de dette de sommeil je ne peux plus du tout fonctionner, et je me mets à déprimer.

Quand je suis en phase d'écriture je peux écrire un essai en 2 mois, quelque que soit le sujet. Je ne fais alors que ça, oubliant de manger et ne parlant à personne jusqu'à ce qu'il soit terminé.Une fois fini, j'en oublie complètement le contenu.

A cause d'une dispraxie, je me cogne souvent dans les meubles, les montants de porte et les murs car j'ai du mal à intégrer les dimensions de mon corps, c'est particulièrement le cas lorsque je retourne au bureau après les vacances ou que je suis dans un lieu que je ne connais pas.

Je ne sais pas mettre de relief dans ma communication orale, autrement dit je parle d'une voix monocorde et sans intensité émotionnelle peu importe les circonstances, ce qui fait que même quand je dis que je suis en colère, comme mes mots ne sont pas accompagnés de la gestuelle et de l'intonation appropriée, on ne me prend pas au sérieux.

Je n'ai pas conscience des situations dangereuses car j'imagine que les autres réagiront comme moi, et j'ai tendance à ne pas comprendre tous les implicites. Par exemple, quand un homme propose d'aller boire un café, pour moi il s'agit juste de boire un café et non d'une tentative de séduction. J'ai d'ailleurs été plusieurs fois victime d'attouchements sexuels ou de harcèlement moral. Chaque situation doit donc être apprise et stockée au fur et à mesure dans mon cerveau pour que je sache comment y réagir à l'avenir ce qui fait que je manque de mémoire pour d'autres événements.

Ayant une gestion émotionnelle particulière, les émotions déplaisantes sont traitées très rapidement et je fais souvent de « l'amnésie émotionnelle », je sais que je dois en vouloir à telle personne, mais je ne me rappelle plus pourquoi. Cela me pousse donc à « pardonner » trop facilement et à répéter les mêmes erreurs encore et encore, ce qui m'expose à des personnes qui pourraient profiter de moi.

J'ai des difficultés à gérer le quotidien, tel que faire à manger tous les jours, ou le ménage et je peux me nourrir que de riz au lait ou de chocolat pendant plusieurs jours, surtout si je suis en phase d'intérêt restreint.

Je débranche fréquemment mon cerveau quand on me parle car je trouve que les gens sont trop lents dans leurs explications, ou bien qu'ils ont une vue des choses trop parcellaires, comme je sais que je ne peux pas leur faire la remarque, je me débranche en attendant qu'ils aient fini.

Je rêve d'être comprise et de pouvoir fonctionner naturellement, sans avoir à porter de masque. J'aimerais que les gens comprennent que tout ce qui vous paraît naturel, à moi me demande un effort, que je me fais violence chaque jour, pour aller faire des courses dans un centre commercial que je ne connais pas, pour aller récupérer une lampe achetée sur le BonCoin auprès d'une inconnue, pour appeler un service administratif...et que cela me demande tellement d'énergie de tout anticiper dans ma tête que je dois me reposer toute une soirée pour compenser ensuite. J'aimerais qu'on puisse comprendre que même s'ils sont invisibles, ce sont de véritables handicaps, que je souffre au quotidien de ne pas avoir d'amis, de ne pas pouvoir déléguer, de ne pas pouvoir partager et de ne pas me sentir aimée telle que je suis vraiment.

Si vos victoires à vous sont d'obtenir votre diplôme, de courir votre marathon, d'acheter votre maison, de vous marier, de survivre à votre divorce...Les miennes sont d'oser faire ce cours d'essai à la salle de sport, d'avoir cuisiné de vrais plats dans la semaine, d'avoir osé demander un renseignement, de ne pas m'être fait virer au bout d'une semaine, et d'être allée faire mes courses au supermarché, sans voiture puisque je n'ai pas le permis. Pourtant, j'ai 34 ans, une foultitude de diplômes, un travail et une fille de 10 ans, qui n'a pas l'air trop abîmée de m'avoir pour mère.

Pour répondre à la question posée en titre de cet article, je me dis que quitte à être Asperger, je suis heureuse d'être aussi HPI. Grâce à cela je peux faire le caméléon et me fondre à peu près dans la masse, avoir une vie à peu près normale, car tout ce que je ne vis pas émotionnellement je peux l'intellectualiser.

Mais, je suis juste fatiguée de cette vie d'à peu près : d'être à peu près comme tout le monde, d'être à peu près heureuse, d'être à peu près entourée, d'être à peu près aimée, alors si jamais vous voulez m'aider, ou aider votre proche dans la même situation, prenez le temps de chercher à comprendre ce que sont le Haut Potentiel Intellectuel et le Syndrome d'Asperger. Merci infiniment.