Pourquoi poursuivre cette guerre alors qu'une architecture européenne de paix, comme le proposa Vladimir Poutine en décembre 2021, aurait pu l'éviter ? Washington y répondit par une note brève qui en reconnaissait l'intérêt avec quelques réserves, tout en se gardant bien d'y donner suite. En conséquence, l'affrontement russo-américain par Ukraine interposé qui ne date pas de février 2021 mais du coup d'état de 2014, ourdi par Victoria Nuland, secrétaire d'état assistante pour l'Europe et l'Eurasie, prend avec le temps une dimension imprévue et tragique. Des analystes politiques s'en inquiètent. Leur inquiétude provient de la récente décision de Joe Biden d'autoriser les Ukrainiens à utiliser les missiles longue-portée qui leur sont fournis par les occidentaux, à frapper des objectifs en Russie sous réserve que ce soit des objectifs militaires. Cette restriction ne rassure guère. Dans le passé, les Occidentaux ont allègrement franchi les limites qu'ils s'étaient imposés concernant les chars, les avions de combat F-16, les missiles anti-aériens et les missiles longue-portée. Il est donc permis de penser que des objectifs civils seront aussi visés d'autant qu'il est parfois difficile de déterminer dans quelle mesure l'objectif est civil ou militaire. La guerre prendra alors une autre tournure.
L'inquiétude vient aussi des messages qu'adresse Vladimir Poutine aux Occidentaux. Dans sa conférence de presse du 28 mai, il a rappelé que les missiles longue-portée étaient contrôlés par les Occidentaux et non par les Ukrainiens. Il a ajouté que cette escalade sans fin pourrait avoir de sérieuses conséquences en Europe et dans le monde.1 Sergueï Lavrov a aussi tenu des propos peu amènes dans sa conférence du 18 mai, considérant que les Occidentaux ont fait le choix d'une confrontation sur le champ de bataille.2 En bref, les Russes nous disent ceci : nous sommes prêts à vous affronter. Leur message subliminal est plus inquiétant : nous ne bluffons pas. Nous avons les moyens non seulement de nous défendre mais aussi de vous détruire (les missiles Sarmat contiennent plusieurs missiles hypersoniques indétectables et les missiles sous-marins Poséidon peuvent provoquer des raz-de marée sur les côtes américaines). Aussi, ne faut-il pas s'étonner que les messages d'alerte en provenance de personnalités aussi connues et respectées que Paul Craig Robert,3 Gilbert Doctorow,4 M. K. Bhadrakumar,5 Jacques Baud,6 Alastair Crooke,7 etc. se soient multipliées ces derniers jours. Que nous disent-ils ? Refusant la défaite, l'Ouest a choisi l'escalade. Espérons qu'ils se trompent.
Le monde est aussi irrationnel aujourd'hui qu'il l'était au temps de la guerre au Vietnam. Barbara Tuchman le regretterait certainement, mais ne serait pas surprise.
Notes :
- Réponses aux questions des médias suite à la visite en Ouzbékistan, Tachkent - 28 mai 2024
- Discours du ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie Sergey Lavrov, 18 mai 2024
- Sous-secrétaire au Trésor de Ronald Reagan. "Regarder Washington fomenter une guerre nucléaire". 2 juin 2024.
- "Capacité de première frappe : pourquoi la Russie est indifférente aux dommages causés à l'une ou l'autre installation radar au sol", 1er juin 2024.
- Diplomate, ancien ambassadeur de l'Inde en Turquie. "Ukraine : la Russie ne veut pas d'escalade, les États-Unis s'en chargent". 31 mai 2024.
- Ancien colonel de l'armée suisse, analyste stratégique. " Ukraine : le dur chemin vers la défaite ! " 29 mai 2024.
- Ancien diplomate britannique. "Au bord de la dissolution : La névrose de l'Occident face à la rupture de la digue". 27 mai 2024.
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