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Le dernier sommet du Shangri-La Dialogue, qui s'est tenu à Singapour, a été l'occasion d'une nouvelle confrontation entre Pékin et Washington. Les deux grandes puissances se sont opposées autour de Taïwan et sur le contexte géopolitique mondial, dans lequel la Chine refuse de voir la logique extensive de l'OTAN s'implanter dans la zone indopacifique (I'A).

Le Shangri-La Dialogue est un évènement annuel incontournable pour saisir l'Etat des rapports de forces et des contradictions dans la zone indopacifique qui constitue un des principaux nœuds stratégiques mondial.

Organisé par le think thank britannique International Institute of Strategic Studies, entre le 31 mai et le 2 juin 2024, le Shangri-La Dialogue, du nom de l'hôtel qui l'accueille à Singapour, regroupe chaque année plus de six cents membres de gouvernements, de responsables militaires et d'experts d'une cinquantaine de pays.

Le sommet de cette année a une nouvelle fois été l'occasion de mesurer l'aggravation des tensions entre Pékin et Washington. La vingt et unième édition de ce forum s'inscrit dans un contexte lourd de tension qu'un document du ministère français des armées présente comme suit :
« Le contexte géopolitique est celui d'une rivalité sino-américaine qui se traduit par une compétition qui s'accélère entre les deux pays [...] Cette rivalité tend à peser sur l'ensemble des États de la zone qui sont tentés de choisir un camp. Le contexte est aussi caractérisé par des tensions croissantes en mer de Chine méridionale. [...] Les incidents s'y multiplient entre la Chine et les Philippines. Le contexte est enfin marqué par un Rapprochement préoccupant entre la Russie et la Corée du Nord.»
Positions antagonistes

Un premier élément de la mesure des tensions et contradictions est le choix fait par les États-Unis et le Canada de faire patrouiller deux navires militaires dans le détroit de Taiwan pendant que le déroulement du forum de Singapour. Le journal de Hong Kong, le South China Morning Post, relate comme suit cette provocation :
« Au même moment le contre-torpilleur américain USS Chung-Hoon et la frégate canadienne HMCS Montréal traversaient le détroit de Taïwan. Le porte-parole de la marine américaine l'a présenté comme étant un déplacement de routine dans des eaux où la libre-circulation et le survol se déroulent conformément au droit international ».
Bien entendu, cette provocation a été dénoncé par la délégation chinoise par la bouche du lieutenant-général Jing Jianfeng qui a dénoncé « le passage fréquent de bâtiments militaires américains dans le détroit et les tentatives américaines incitant davantage de pays à s'ingérer dans la question de Taiwan. »

La poignée de main diplomatique entre le secrétaire d'Etat à la défense Loyd Austin et Jing Jianfeng ne signifie aucune accalmie dans la montée des contradictions sino-états-uniennes dans la région. Cette zone est lourde d'enjeux pour l'économie mondiale.

Celle-ci est traversée par de nombreuses routes commerciales permettant le transit des hydrocarbures et métaux rares d'une part, et des biens manufacturés d'autre part. Il en découle une militarisation croissante de la zone se traduisant par la multiplication des accords militaires états-uniens comme l'AUKUS regroupant l'Australie, le Royaume Uni et les Etats-Unis, le FIVE EYES regroupant les mêmes pays et la Nouvelle Zélande et le Canada ou le QUAD regroupant les USA, le Japon, l'Australie et l'Inde ou encore JAKUS regroupant le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis.

La militarisation de la zone prend également la forme de la présence permanente de la cinquième et Septième flotte états-unienne et de la multiplication des bases militaires états-uniennes comme à Guam, Djibouti, Diego Garcia, etc. dirigées officiellement par le commandement indopacifique des Etats-Unis.

C'est officiellement pour répondre à ce qu'elle appelle un encerclement que la Chine explique la hausse de son budget militaire de 7.1 % en 2022 et de 7.2 % en 2023. De manière significative, ces hausses sont essentiellement consacrées à la marine avec en particulier, en 2022, la mise en service d'un troisième porte-avion.

Les enjeux de Taïwan

La question de Taïwan est, bien entendu, à resituer dans ce contexte global. Cette île est selon le droit international reconnue comme appartenant à la République Populaire de Chine.

Une décision entérinée avec le vote, par l'Assemblée Générale des Nations-Unies, de la résolution 2758 du 25 octobre 1971 qui :
« décide le rétablissement de la République Populaire de Chine dans tous ses droits et la reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l'Organisation des Nations-Unies et l'expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-Chek du siège qu'il occupe illégalement à l'Organisation des Nations-Unies et dans les organismes qui s'y rattachent ».
Le nombre de pays reconnaissant officiellement Taïwan comme Etat souverain n'était déjà que de 29 en 2000. Ce nombre est passé à 12 en 2024. La position officielle de Pékin est celle d'une réunification pacifique sur la base du principe « un pays, deux système » qui est définit comme suit, en 2022, dans le livre blanc intitulé « la question de Taïwan et la réunification de la Chine dans une nouvelle ère » consacré à cette question :
« Pour réaliser la réunification pacifique, nous devons reconnaître que la partie continentale et Taïwan ont des systèmes sociaux et des idéologies distincts. Le principe "un pays, deux systèmes" est la solution la plus inclusive à ce problème. [...] Les différences en matière de système social ne sont ni un obstacle à la réunification ni une justification pour le sécessionnisme".
Logique extensive

L'option militaire n'est cependant pas entièrement éliminée dans ce mémorandum, qui stipule également :
« Nous œuvrerons avec la plus grande sincérité et n'épargnerons aucun effort pour réaliser la réunification pacifique. Cependant, nous ne renoncerons pas à l'emploi de la force et nous nous réservons l'option de prendre toutes les mesures nécessaires. Ceci est pour se prémunir contre les ingérences extérieures et toutes les activités séparatistes. Il ne cible en aucun cas nos compatriotes chinois à Taïwan. Une approche non pacifique sera le dernier recours dans des circonstances impérieuses ».
Ce sont justement ces « ingérences extérieures », c'est-à-dire états-uniennes, qui ont une nouvelle fois été dénoncées à Singapour par Pékin. En effet le représentant états-unien justifiait comme suit la hausse de la présence militaire dans la région :
« La région Asie-Pacifique demeure un théâtre d'opérations prioritaires car les Etats-Unis ne peuvent être en sécurité que si l'Asie l'est. [...] La Chine ne devrait pas utiliser la transition politique à Taïwan comme prétexte pour une intervention coercitive ».
La réaction chinoise n'a pas tardé. Le représentant chinois a en effet déclaré que :
« La stratégie indopacifique des Etats-Unis ne sert que les intérêts géopolitiques des Etats-Unis et est vouée à l'échec. Sous prétexte de promouvoir la coopération régionale, les Etats-Unis s'accrochent à la mentalité de la guerre froide, s'engagent dans des jeux à somme nulle, forment des "clubs" exclusifs et cherchent à coaliser de petites cliques pour construire une "version Asie-Pacifique de l'OTAN" afin de maintenir l'hégémonie américaine. »
La logique extensive de l'OTAN qui a déjà été à l'origine de la guerre en Ukraine semble ainsi avoir, selon Pékin, un sosie dans la zone indopacifique. Elle débouche sur le même résultat de hausse des risques de guerre pour le plus grand profit du complexe militaro-industriel que dénonçait déjà le président états-unien Eisenhower en 1961.