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Après 14 ans de persécution, Julian Assange va être libéré. Nous devons rendre hommage aux centaines de milliers de personnes qui, dans le monde entier, ont fait en sorte que cela se produise.

La sombre machinerie de l'empire, dont Julian Assange a exposé la perversité et la sauvagerie au monde entier, a passé 14 ans à essayer de le détruire. Ils lui ont coupé les vivres, bloqué ses comptes bancaires et ses cartes de crédit. Ils ont inventé de fausses accusations d'agression sexuelle pour le faire extrader vers la Suède, d'où il aurait ensuite été expédié aux États-Unis.

Ils l'ont piégé dans l'ambassade de l'Équateur à Londres pendant sept ans après qu'il eut obtenu l'asile politique et la citoyenneté équatorienne, en lui refusant un laissez-passer vers l'aéroport d'Heathrow. Ils ont orchestré un changement de gouvernement en Équateur qui l'a privé de son asile, harcelé et humilié par un personnel d'ambassade complaisant. Ils ont chargé la société de sécurité espagnole UC global d'enregistrer toutes ses conversations, y compris celles avec ses avocats.

La CIA a envisagé de l'enlever ou de l'assassiner. Elle s'est arrangée pour que la police métropolitaine de Londres fasse une descente dans l'ambassade - territoire souverain de l'Équateur - et le kidnappe. Elle l'a détenu pendant cinq ans dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, la plupart du temps à l'isolement.

Et pendant tout ce temps, ils ont orchestré une mascarade judiciaire devant les tribunaux britanniques, où les procédures régulières ont été ignorées afin qu'un citoyen australien, dont le site de publication n'était pas basé aux États-Unis et qui, comme tous les journalistes, recevait des documents de lanceurs d'alerte, puisse être inculpé en vertu de l'Espionnage Act.

Ils ont essayé à maintes reprises de le détruire. Ils ont échoué. Mais Julian n'a pas été libéré par des tribunaux soucieux de défendre l'État de droit et de disculper un homme qui n'avait commis aucun crime. Il n'a pas été libéré grâce à une subite prise de conscience de la part de la Maison Blanche de Biden et de la communauté du renseignement. Il n'a pas été libéré sous la pression des organes de presse qui ont publié ses révélations sur le gouvernement américain et l'ont ensuite jeté en pâture en se livrant à des campagnes de diffamation virulentes.

Il a été libéré - grâce à un accord avec le ministère américain de la Justice, selon des documents judiciaires - malgré ces institutions. Il a été libéré parce que jour après jour, semaine après semaine, année après année, des centaines de milliers de personnes à travers le monde se sont mobilisées pour dénoncer l'emprisonnement du journaliste le plus éminent de notre génération. Sans cette mobilisation, Julian ne serait pas libre.

Les manifestations de masse ne fonctionnent pas toujours. Le génocide à Gaza continue d'infliger son effroyable tribut aux Palestiniens. Mumia Abu-Jamal est toujours enfermé dans une prison de Pennsylvanie. L'industrie des combustibles fossiles ravage la planète. Mais c'est là l'arme la plus puissante dont nous disposons pour nous défendre contre la tyrannie.

Cette pression constante - lors d'une audience à Londres en 2020, à ma grande joie, la juge Vanessa Baraitser, du tribunal Old Bailey chargé de l'affaire Julian, s'est plainte du bruit que faisaient les manifestants à l'extérieur du tribunal - apporte un éclairage permanent sur l'injustice et expose l'amoralité de la classe dirigeante. C'est la raison pour laquelle les places dans les tribunaux britanniques étaient si limitées, et que des militants ont fait la queue à l'extérieur dès 4 heures du matin pour réserver une place à des journalistes qu'ils apprécient, ma place ayant été réservée par Franco Manzi, un policier à la retraite.

Ces personnes sont anonymes et souvent ignorées. Mais ce sont des héros. Ils déplacent des montagnes. Ils ont encerclé le parlement. Ils se sont tenus sous une pluie battante devant les tribunaux. Ils se sont montrés tenaces et inébranlables. Ils ont fait entendre leur voix collective. Ils ont sauvé Julian. Alors que cette épouvantable saga se termine et que Julian et sa famille, je l'espère, trouvent paix et sérénité en Australie, nous devons leur rendre hommage. Ils ont poussé les responsables politiques australiens à défendre Julian, ressortissant australien, et, enfin, la Grande-Bretagne et les États-Unis à baisser les bras. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont finalement renoncé. Je ne dis pas qu'ils ont fait ce qu'il fallait. Il s'agit d'une capitulation. Nous devrions en être fiers.

J'ai rencontré Julian lorsque j'ai accompagné son avocat, Michael Ratner, à des rendez-vous à l'ambassade d'Équateur à Londres. Michael, l'un des plus grands avocats spécialisés dans les droits civiques de notre époque, a répété que la protestation populaire est un élément essentiel de tous les procès qu'il a intentés contre l'État. Sans elle, l'État pourrait persécuter les dissidents, bafouer la loi et commettre leurs crimes en coulisses.

Des personnes comme Michael, ainsi que Jennifer Robinson, Stella Assange, le rédacteur en chef de WikiLeaks Kristenn Hrafnsson, Nils Melzer, Craig Murray, Roger Waters, Ai WeiWei, John Pilger et le père de Julian, John Shipton, et son frère Gabriel, ont joué un rôle déterminant dans ce combat. Mais ils n'auraient pas pu le faire seuls.

Nous avons désespérément besoin de mouvements collectifs. La crise climatique s'accélère. Le monde, à l'exception du Yémen, assiste passivement à un génocide retransmis en direct. L'avidité insensée d'une expansion capitaliste sans limite a tout transformé, des êtres humains aux espaces naturels, en marchandises à exploiter jusqu'à épuisement ou effondrement. La destruction des droits civiques nous a enchaînés, comme l'avait signalé Julian, à un système de surveillance et de contrôle interconnecté qui s'étend à l'ensemble du globe.

La classe dirigeante mondiale s'est montrée au grand jour. Elle a l'intention, dans le Nord, de construire des forteresses climatiques et, dans le Sud, d'utiliser ses armes industrielles pour enfermer et massacrer les désespérés de la même manière qu'elle massacre les Palestiniens.

La surveillance de l'État est bien plus intrusive que celle pratiquée par les régimes totalitaires du passé. Les critiques et les dissidents sont facilement marginalisés ou réduits au silence sur les plateformes numériques. Cette structure totalitaire - que le philosophe politique Sheldon Wolin a appelée "le totalitarisme inversé" - s'est progressivement implantée. Julian nous avait prévenus. Plus la structure du pouvoir se sentira menacée par une population réfractaire qui dénonce sa corruption, son accumulation de richesses obscènes, ses guerres sans fin, son incompétence et sa répression galopante, plus les démons dont Julian a été victime nous guetteront.

Le but de la surveillance généralisée, comme l'écrit Hannah Arendt dans "Les origines du totalitarisme", n'est pas, en fin de compte, de découvrir des crimes, "mais d'être là lorsque le gouvernement décide de faire arrêter une certaine catégorie de la population". Et parce que nos courriels, nos conversations téléphoniques, nos recherches sur Internet et nos déplacements géographiques sont enregistrés et conservés à perpétuité dans des bases de données gouvernementales, parce que nous sommes la population la plus photographiée et la plus surveillée de l'histoire de l'humanité, il y aura plus qu'assez de "preuves" pour nous arrêter si l'État le juge nécessaire. Cette surveillance permanente et ces données personnelles attendent, comme un virus mortel, d'être utilisées contre nous depuis les chambres fortes de l'État. Peu importe que ces informations soient insignifiantes ou anodines. Dans les États totalitaires, la justice, comme la vérité, n'a plus aucune importance.

L'objectif de tous les systèmes totalitaires est de faire naître un climat de peur afin de paralyser une population prisonnière. Les citoyens se réfugient dans les structures qui les oppriment. L'emprisonnement, la torture et le meurtre sont réservés aux irréductibles réfractaires tels que Julian. L'État totalitaire exerce ce contrôle, écrit Arendt, en écrasant la spontanéité humaine et, par extension, la liberté des hommes. La population se trouve ainsi paralysée par les traumatismes. Les tribunaux, ainsi que les organes législatifs, légalisent les crimes d'État. Nous avons vu tout cela au cours de la persécution de Julian. C'est un mauvais présage pour l'avenir.

L'État-entreprise doit être détruit si nous voulons restaurer une société ouverte et sauver notre planète. Son dispositif de contrôle sécuritaire doit être démantelé. Les mandarins qui gèrent le totalitarisme d'entreprise, y compris les dirigeants des deux principaux partis politiques, les universitaires bornés, les experts et les médias en faillite, doivent être chassés des temples du pouvoir.

Les manifestations de masse et la désobéissance civile prolongée sont notre seul espoir. Si nous ne nous soulevons pas - ce sur quoi compte l'État corporatif - nous serons réduits en esclavage et l'écosystème de la Terre deviendrait impropre à la vie humaine. Prenons exemple sur les hommes et les femmes courageux qui sont descendus dans la rue pendant 14 ans pour sauver Julian. Ils nous ont montré la voie à suivre.

Source: Chrishedges.substack.com