Deuxième partie - Voir ce lien
Chapitre 2 - Les végétariens moraux (suite)
Parmi les 422 000 espèces végétales, seul un faible pourcentage est domestiqué. Mais certaines d'entre elles ont littéralement envahi la planète. Les plantes produisent des millions de substances chimiques afin d'attirer, repousser, immobiliser, ou tuer des animaux. Pour certaines c'est leur moyen de reproduction. Et c'est la manière dont elles se défendent : la nature, embrasée de substances phytochimiques. Juste parce qu'elles ne peuvent pas bouger ne signifie pas qu'elles sont passives. Et de temps à autre au jeu de poker de l'évolution, l'une d'entre elles tire un carré d'as, qui correspond parfaitement aux aspirations des centres du plaisir situé dans le cerveau. Les graminées annuelles ont découvert quelque chose d'essentiel avec leurs peptides opioïdes. Nous en avons mangé et nous ne pouvons plus nous arrêter. « Notre grammaire » écrit Michael Pollan « nous apprend peut-être à diviser le monde en sujets actifs et en objets passifs, mais dans une relation co-évolutionnaire chaque sujet est aussi un objet, chaque objet est un sujet. C'est la raison pour laquelle il est tout autant sensé de considérer l'agriculture comme imposée aux Hommes par les plantes que comme la conquête des arbres. » Nous avons fourni la force brute. Pour le maïs, nous ne sommes rien d'autre que des chevaux de trait.
Il faut que nous nous extirpions de ce rôle de sujet. Il nous faut réaliser que nous ne sommes pas si spéciaux. Nous pensons que nous menons cette activité spécifique aux humains - modifier les plantes et les animaux pour qu'ils correspondent à nos besoins jusqu'à ce qu'ils dépendent de nous. Mais tous les prédateurs changent leurs proies, et toutes les proies dépendent de leurs prédateurs. Croyez-vous que les caméléons changent de couleur pour le plaisir ? Que les fauves ont une robe tachetée et restent parfaitement immobiles juste pour faire beau ?
Actuellement, il y a une surpopulation de cerfs dans les forêts du Nord-est des États-Unis, ils mangent tous les jeunes arbres. Dans 50 ans, il n'y aura peut-être plus de forêts, et cela signera aussi la fin des cerfs. Tout cela parce, à cause des interférences humaines, il n'y a plus assez de prédateurs, et pour survivre, le cerf a besoin de ses prédateurs. Pollan l'explique en ces termes : « Toutefois, ceux qui vivent si loin du monde naturel, réaliseront peut-être que la prédation n'est pas une question d'éthique ou de politique, c'est, comme le reste, une affaire de symbiose...Le fil de la prédation est solidement tissé dans l'étoffe de la nature, et elle se déferait rapidement si de quelque manière la prédation disparaissait, si les « humains » arrivaient à y trouver une solution. » Pour ce qui est du Nord-est des États-Unis, les humains ont trouvé une solution et sans loup et sans lion des montagnes, sans prédation, la situation empire chaque année. La population de cerfs a explosé au-delà de toute possibilité d'équilibre écologique. Voici ce qu'écrit Ted Williams :
Au cours d'une expérience étalée sur 10 ans, le service des forêts étasunien (US Forest Service) a découvert qu'au-delà de 8 cerfs par kilomètre carré, il y a disparition des populations de piouis de l'Est et de passerins indigo et réduction des populations d'oiseaux de la famille des tyrannidés, de coulicous à bec jaune et de parulines azure. À partir de 14 cerfs par kilomètre carré disparaissent les moucherolles phébi et même les rouges-gorges. Les oiseaux qui nidifient au sol comme la paruline couronnée, la gélinotte des bois, la bécasse d'Amérique, l'engoulevent bois-pourri, et le dindon sauvage peuvent faire leur nid dans les fougères, que les cerfs ignorent, mais même ces oiseaux deviennent moins nombreux car ils ont besoin d'une couverture forestière dense.Il décrit Crane Estate, une plage au nord de Boston. Toute sa végétation a disparu, ses dunes nues sont à la merci du vent, et toute sa faune s'est également évanouie. Même les cerfs mourraient de faim, ayant dépassé depuis longtemps la capacité d'accueil du territoire, et ils étaient en train de le détruire irrémédiablement. Sans prédateur, le territoire meurt. Dans ce cas-ci, les prédateurs, essentiellement des cougars et des loups, avaient été tués par les premiers colons européens. « Ce comportement sidérait les Indiens » écrit Williams. « Après moult discussions et théories, ils décidèrent qu'il s'agissait d'un symptôme de la folie ».
Au final, la relation proie-prédateur est mutuelle : chacun a besoin de l'autre, chacun change l'autre. Comme le dit Pollan : « la chasse menée par les humains... a littéralement aidé à la formation des populations de bisons dans les plaines étasuniennes, ... ils ont changé en termes de physiologie et de comportement après l'arrivée des Indiens. » Et les grands ruminants nous ont changés tout autant que nous les avons changés. Les protéines et graisses de haute qualité, en particulier les organes riches en nutriments, ont permis de réduire la taille de notre système digestif et d'augmenter celle de notre cerveau. La mégafaune préhistorique, les aurochs et les antilopes et les mammouths ont littéralement fait de nous des humains. Ce n'est pas sans raison qu'ils furent le thème de notre première et éternelle œuvre d'art.
Quant aux plantes, elles utilisent les animaux dans leur stratégie de reproduction depuis 100 millions d'années, depuis que les angiospermes ont littéralement explosé sur la scène de l'évolution. Désormais certaines plantes se reproduisent en créant des fleurs. Ces fleurs ont besoin des animaux pour être pollinisées. Une fois fécondées, elles se transforment en graines, qui à leur tour ont besoin des animaux pour être transportées. Certaines plantes utilisent le vent comme pollinisateur et comme moyen de transport, et le mini parachute du chardon-marie en est le résultat. D'autres ont appris à attirer les animaux ; depuis le début, la vie sexuelle est une débauche de couleurs, d'odeurs, et de goûts, rouge écarlate pour l'oiseau-mouche, nectar sucré pour les abeilles. Ces plantes ont co-évolué avec leurs cohortes animales. Elles dépendent tout autant des insectes, des oiseaux, et des rongeurs que le maïs dépend des êtres humains. Par exemple :
Plusieurs espèces d'acacias, connues sous le nom d'acacias des fourmis, ont une relation très développée avec certaines espèces de fourmis. L'acacia cornigera et la fourmi Pseudomyrmex ferruginea dépendent totalement l'un de l'autre... L'arbre a des épines gonflées dans lesquelles les fourmis creusent leurs nids. Ses fanes produisent un nectar qui apporte aux fourmis les hydrates de carbone dont elles ont besoin. Au bout des feuilles poussent de petites protubérances orange vif... offrant aux fourmis protéines et graisses... La reine d'une colonie de fourmis trouve un petit acacia inoccupé et creuse un trou dans une épine verte, où elle dépose ses œufs... Neuf mois après l'arrivée de la reine, les ouvrières patrouillent sur l'arbre, elles sillonent les branches et les feuilles jour et nuit. Elles attaquent - en mordant et piquant - tout insecte qu'elles trouvent, et elles tuent toute plante qui pousse dans un rayon de 75 cm autour de leur arbre... Les jeunes acacias qui ne disposent pas d'une colonie de fourmis subissent de graves dégâts infligés par les autres insectes... En fait, les acacias dépendent de « leurs » fourmis pour survivre.Domestication ne signifie pas domination par les humains. Oui, nous comprenons désormais les mécanismes de la génétique et de la reproduction, et nous nous plaisons à penser que nous avons le contrôle. Vous pouvez répéter que les humains sont au sommet de la pyramide, maîtres de leur destin, mais le blé et le maïs avec leurs 340 millions d'hectares aux quatre coins de la planète pourraient avoir un avis différent. Et ils ont nos emplois éreintants et nos squelettes rabougris pour le prouver.
Au final, savoir si la vie sur Terre est un seul organisme et si toutes ses composantes sont conscientes relèvent de questions spirituelles. Je ne pense pas que l'on puisse argumenter sur les réponses, on peut seulement en faire l'expérience. J'ai fait mes expériences. Je sais ce que je crois. Je ne vous demande pas d'être d'accord avec moi, juste d'observer. Les écureuils enterrent les glands. Les chênes nourrissent les écureuils. Les papillons monarque ont besoin des asclépiades [plante buissonnante également connue sous le nom d'herbe aux perruches ou herbe à la ouate - NdT] , et pas seulement pour le sucre. Les asclépiades produisent une substance chimique spécifique qui rend le monarque toxique pour ses prédateurs. Qui travaille pour qui ? Les relations entre les humains et les poulets, les porcs, le riz et l'orge ne sont pas différentes.
Pour la domestication la première condition requise est que la plante modifie son génome au point de répondre au besoin humain. Les humains récoltent, disséminent involontairement et protègent la plante. Ces activités sont courantes chez les chasseurs-cueilleurs, et elles induisent des modifications génétiques qui aboutissent à des plantes plus malléables, plus agréables, qui ont des graines plus grosses ou dont la tige principale retient les graines. De telles plantes deviennent plus attrayantes, mais aussi plus dépendantes des humains. David Rindos appelle cette étape la domestication accessoire. La seconde étape apparaît lorsque la plante a besoin de l'humain pour être dispersée et que les humains adoptent des comportements spécifiques pour encourager sa domestication. Rindos appelle cette phase la domestication spécialisée. Les découvertes archéologiques montrent une correspondance entre les changements de taille des graines, la nature du tégument et les mécanismes de dispersion. Même à l'époque des chasseurs-cueilleurs, l'activité humaine avait un impact sur le paysage (habituellement par le biais des feux et des coupes). À ce stade, diverses espèces de plantes sauvages sont encore présentes, car les espèces domestiquées ne fournissent pas assez de nourriture et les humains dépendent encore d'autres ressources. A l'étape finale, appelée domestication agricole, les espèces domestiques produisent beaucoup plus que les espèces sauvages et les humains se lancent dans une modification en profondeur de leur environnement pour qu'il convienne aux espèces domestiquées. À ce stade, la diversité des espèces plonge, et les humains dépendent de plantes et d'animaux totalement domestiqués.
Pour qu'une agriculture à grande échelle apparaisse, trois conditions doivent être réunies. Premièrement, il doit exister un ensemble de plantes et d'animaux modifiables et adaptés. Par définition, l'ensemble d'espèces disponibles est un facteur limitatif. C'est la raison pour laquelle en Amérique du Nord les humains ne pouvaient développer l'agriculture que dans de petites régions. Il n'existait pas d'espèce issue de la mégafaune qui soit domestiquée. Sans animal domestique, les humains sédentaires devaient utiliser les rivières, les estuaires, et les océans pour obtenir protéines et graisses animales. Loin des vallées et des côtes, l'agriculture était impossible. En Amérique Centrale et en Amérique Latine , le lama, de même que le cobaye et la dinde, furent domestiqués, et l'agriculture s'est développée avec son cortège habituel de destruction.
Deuxièmement, pour que la population humaine augmente, il faut que l'environnement soit suffisamment riche en termes de ressources. C'est un point important car il mène au troisième facteur : les perturbations humaines de l'environnement. Lorsque les humains se rassemblent dans des villages saisonniers, ils brûlent la zone où le camp sera établi, ils piétinent une zone encore plus large, ils brûlent encore plus de terrain pour débusquer du gibier, et ils emtassent leurs déchets. Les graines domesticables, en particulier les graminées annuelles, ont germé à cette occasion ou ont été délibérément disséminées, ou les deux à la fois, et dans ces environnements perturbés elles étaient comme un poisson dans l'eau. Les horticulteurs plantaient des plantes vivrières et d'autres types de végétaux utiles avant de quitter un site. Par exemple, dans la forêt tropicale d'Amérique du Sud, plus de trois cents plantes ont été domestiquées pendant les siècles où ce cycle s'est répété. La forêt tropicale telle qu'elle existe aujourd'hui résulte d'un effort coopératif dû aux interactions entre humains et plantes.
La clé d'une agriculture pleinement développée sont les graminées annuelles. Si vous voulez comprendre les dix mille années de destruction causée par l'Homme, vous devez comprendre la nature des plantes annuelles. La grande majorité des plantes présentes sur notre planète sont vivaces. Une fois implantées, elles vivent pendant des années, parfois des siècles, transformant la lumière du soleil en cellulose. Parce qu'elles ont beaucoup de temps pour se reproduire, elles utilisent de multiples stratégies : les stolons [usage de tiges aériennes rampantes comme dans le cas du fraisier - NdT], les tubercules, les cannes, les graines. Leur fonction dans l'écosystème est vitale : leurs racines maintiennent littéralement le sol en place. Et sans la couche arable, il n'y a pas de vie, pas de vie terrestre en tout cas.
Maintenant comparez aux plantes annuelles. Elles ne vivent qu'une ou deux petites saisons, et dans ce laps de temps elles doivent réaliser l'objectif de leur vie : la reproduction. Alors, elles misent tout sur une seule stratégie : des graines grosses et grasses. Leurs graines sont patientes, car elles doivent l'être. Il est inutile de germer lorsque la concurrence est établie, vivace. Leurs minuscules radicelles n'ont aucune chance contre le dense réseau de racines des plantes vivaces. Elles attendent que quelque chose ait détruit les plantes vivaces et nettoyé le sol - feu, inondation, tremblement de terre, migration des bisons, êtres humains. Avec les plantes vivaces temporairement écartées, les annuelles entrent en scène. Les graines germent, les racines plongent, les tiges s'élèvent, et les plantes s'affairent à devenir attrayantes. Elles n'ont pas beaucoup de temps pour envoyer des lettres d'amour faites de formes et de couleurs, des mots doux de pollen et de parfum, avant que n'arrivent les plantes vivaces et, dans les climats tempérés, l'hiver. Ainsi, les annuelles se font féconder, leurs cosses gonflent puis s'ouvrent, et la prochaine génération de graines se retrouve dans le sol attendant le prochain désastre. C'est la preuve vivante que la nature aime une opportuniste.
Du point de vue du sol, rien ne pourrait être mieux. La terre dénudée constitue une urgence et les annuelles sont les premières intervenantes, contenant et protégeant le sol avec leurs racines et leurs feuilles. Les annuelles sont comme du sparadrap sur une plaie, tandis que les vivaces sont la chair qui se reforme ultérieurement.
L'agriculture a débuté avec les graminées annuelles - ancêtres sauvages du maïs, du riz, du blé et de l'orge (les pommes de terre des Andes étant l'exception tubéreuse) - parce qu'elles produisaient des graines suffisamment volumineuses pour valoir la peine d'être récoltées. Elles se sont développées dans les vallées inondables où elles ont trouvé de bonnes niches offrant des perturbations prévisibles. Puis vint l'homme, jouant avec le feu, mangeant et excrétant, et les graminées annuelles y étaient dans leur élément. Elles ont suivi les camps. Elles aimaient se développer dans les zones perturbées par les humains.
L'agriculture a débuté dans six régions distinctes avec différentes plantes : maïs d'Amérique centrale, riz des vallées du fleuve Jaune et du Yangtze en Chine et de la vallée du Gange en Inde ; une espèce différente de riz d'Afrique occidentale ; blé en provenance du Moyen-Orient ; les mauvaises herbes des plaines inondables (potirons, tournesols et chénopodes) du centre-sud des États-Unis, et pommes de terre des Andes. Toutes ces régions ont développé l'agriculture et puis, peu de temps après, les civilisations urbaines. Cela n'est pas seulement dû au comportement humain, mais aussi aux plantes annuelles attirées par le comportement humain.
Cela explique comment, mais pas pourquoi, l'agriculture s'est développée. Pourquoi les humains ont-ils abandonné leurs loisirs et une santé quasi parfaite pour un travail éreintant et une mauvaise alimentation ?
La transition vers l'agriculture « a longtemps été célébrée... comme une avancée majeure pour la civilisation, mais... la santé s'est détériorée pendant ce changement. » L'avènement de l'agriculture laisse des preuves presque légistes dans les os et les restes fécaux, des preuves de crimes contre la santé humaine : «malnutrition, ostéomyélite et périostite (infections osseuses), parasites intestinaux, pian, syphilis, lèpre, tuberculose, anémie (due à une mauvaise alimentation et aux ankylostomes), rachitisme chez l'enfant, ostéomalacie chez l'adulte, retard de croissance chez l'enfant, petite taille chez l'adulte. » En observant un os, les anthropologues médicaux peuvent déterminer d'un coup d'œil si le sujet vivait dans un groupe de chasseurs-cueilleurs ou une société agricole. Les chasseurs ont fière allure. Les agriculteurs tombent en morceaux.
Et puis il y a l'effort sans fin. En moyenne le chasseur-cueilleur travaille dix-sept heures par semaine, ce qui laisse suffisamment de temps pour les activités créatives, les préoccupations spirituelles, les commérages, et l'incontournable sieste. Les agriculteurs travaillent de l'aube au crépuscule, et même dans l'Amérique moderne, avec toutes les technologies que nous vénérons, le citoyen étasunien moyen travaille plus de quarante heures par semaine, ce qui n'inclut même pas les tâches de tous les jours (traditionnellement assignés aux femmes) comme la cuisine, le nettoyage et l'éducation des enfants. C'est effectivement bestial. Pourquoi les humains ont-ils fait ce choix ?
Diverses théories ont été avancées, mais aucune d'entre elles n'a résisté aux faits. Celle que j'ai apprise à l'école est que la pression démographique force les gens à rendre leurs territoires plus productifs. Ce serait logique, si seulement c'était vrai. Si la surpopulation était le facteur déclenchant, alors les archéologues trouveraient les squelettes cassants, ratatinés, et dégénérés d'individus souffrant de malnutrition antérieure à l'avènement de l'agriculture, mais ce n'est pas le cas. Ils trouvent plutôt les dents et les os longs, robustes et sains qui sont typiques des chasseurs-cueilleurs. C'est après l'avènement de l'agriculture que la population a dépassé la capacité d'accueil de la planète. « La pression démographique semble n'avoir joué aucun rôle direct dans les premières étapes de la domestication », concluent Douglas T. Price et Anne Birgitte Gebauer.
Les archéologues ont besoin de parler à des pharmacologues. Le mouflon d'Amérique va user ses dents jusqu'aux gencives pour manger le lichen psychoactif collé au rocher. Les bovins reviendront manger de l'astragale jusqu'à ce qu'ils en meurent. Les oiseaux se défoncent en consommant des graines de cannabis, et les jaguars mangent l'écorce de l'ayahuasca pour provoquer des hallucinations. Les éléphants font du vin à partir de la sève de palmier.
Des oiseaux se gavent de baies fermentées jusqu'à être ivres et suffisamment désorientés pour mourir en volant en état d'ébriété. Les canards recherchent les plantes narcotiques. Les singes et les chiens aiment la fumée d'opium. Les chimpanzés surmonteront leur peur du feu pour fumer des cigarettes et le tabac crée une dépendance chez nombre d'animaux, y compris les perroquets, les babouins et les hamsters. Le cerf va ignorer toute nourriture pour rechercher des champignons hallucinogènes s'il a senti leur odeur lorsque les shamans de la région de Lapp les consomment. Et maintenant souvenez-vous que le pavot a été l'une des premières plantes domestiquées - et personne ne récolte ses graines minuscules pour en faire un repas.
On trouve dans les plantes annuelles domestiquées des substances pharmacologiques appelées exorphines. Ce sont des opioïdes, affectant le cerveau humain de la même manière que l'opium. Eh oui, elles créent une dépendance. Le lait, un autre aliment issu de l'agriculture, contient également des exorphines, mais en quantité bien moindre. G. Wadley et A. Martin, les chercheurs qui ont développé cette théorie, déclarent
La consommation de céréales et de lait, selon les quantités habituelles d'un régime moderne et chez un individu normal, active le système de récompense dans le cerveau. Les aliments qui étaient courants avant l'agriculture ... n'ont pas cette propriété pharmacologique. Les effets des exorphines sont qualitativement les mêmes que ceux produits par d'autres opioïdes ... ou drogues, c'est-à-dire : récompense, motivation, réduction de l'anxiété, sentiment de bien-être, et peut-être même dépendance. Bien que les effets d'un repas typique soient quantitativement moindres qu'une dose de ces drogues, aujourd'hui la plupart des humains en font l'expérience plusieurs fois par jour chaque jour de leur vie d'adulte.Selon les Drs. Michael et Mary Dan Eades,
« Personne ne se bourre de steak ou d'œufs ou de côtelettes de porc, on se bourre toujours de biscuits, de sucreries et autre malbouffe pleine d'hydrates de carbone... Les céréales et leurs produits dérivés ont un effet qui dépasse la simple stimulation des papilles gustatives qu'ils provoquent. »Nous avons fait ce choix parce que nous sommes devenus accros, parce que ces céréales annuelles déclenchent une délicieuse débauche de substances chimiques. Les plantes jouent au chimiste depuis une centaine de millions d'années, testant de nouvelles stratégies pour repousser les prédateurs potentiels et attirer des alliés potentiels. Elles produisent des substances comme la caféine qui vous coupe l'appétit, des hallucinogènes qui vous plongent dans une profonde confusion, des hormones qui perturberont votre fertilité, et de véritables poisons destinés à tuer, chacune de ces substances est étonnante de précision. Elles testent également des substances chimiques destinées à attirer des cibles, et qui induisent béatitude, extase, révélations spirituelles, et (que tous saluent la déesse Théobroma) [nom d'un genre de petits arbres tropicaux dont l'étymologie provient du Grec « nourriture des dieux » - NdT] stimulent les centres du plaisir. Trop de ces substances et l'animal allié potentiel devient un accro inutile. Mais juste assez et le toxicomane peut faire beaucoup pour la plante - et fera ce qu'il faut pour en avoir plus.
Comme conquérir le monde.
Commencez avec un morceau de terrain - une forêt, une prairie, une zone humide. Dans son état natif, la terre est couverte d'une multitude de plantes, travaillant de concert avec la microfaune - bactéries, champignons, levures - et avec les animaux, des insectes aux mammifères. Les plantes sont les producteurs, transformant la lumière du soleil en biomasse, créant à la fois l'atmosphère riche en oxygène pour que le reste d'entre nous le respire, et la couche arable dont le reste d'entre nous dépend. C'est ce qu'on appelle une polyculture pérenne. Pérenne car la plupart des plantes y vivent de nombreuses années, fixant le carbone dans leurs corps de cellulose, formant des kilomètres de réseaux racinaires à travers le sol. Polyculture parce qu'elles sont si nombreuses, chacune coopérant, s'opposant, contribuant, chacune remplissant une niche et assurant une fonction nécessaire. Les polycultures pérennes sont la manière dont la nature protège et renforce la couche arable, la manière dont la vie s'est organisée pour produire plus.
Voici comment l'agriculture fonctionne : vous prenez un morceau de terrain et en chassez toute forme de vie, jusqu'aux plus petites comme les bactéries. Alors, vous l'ensemencez avec quelques variétés utiles à l'Homme, souvent des kilomètres interminables constitués d'une seule plante comme le maïs, le soja, le blé. Les animaux sont tués, souvent leur espèce sombre dans l'extinction. Ils n'ont tout simplement nulle part où aller. Il y avait entre 60 et 100 millions de bisons aux États-Unis en 1491. Maintenant ils sont 350 000, et seulement 12 à 15 000 sont des bisons de pure race qui n'ont pas été croisés avec des bovins domestiques. Le pays accueillait entre 425 000 et un million de loups ; il n'y en a plus que 10 000. Certaines espèces d'oiseaux terrestres ont été anéantis avant même d'avoir un nom (j'entends par là des noms européens, je suis sûre que les peuples autochtones savaient comment les appeler). La prairie nord-américaine a été réduite à 2 pour cent de sa taille originale et la couche arable, jadis profonde de 3,6 mètres, se mesure désormais en centimètres.
L'agriculture est basée sur la monoculture de plantes annuelles, l'exact opposé de la polyculture pérenne, et ses conséquences sont également opposées : elle détruit la terre arable. « La détérioration du sol est la blessure inévitable que l'agriculture fait subir à l'environnement », écrit Steven Stoll. Ou comme Tom Paulison le dit, « On écorche la planète ». L'agriculture est une catastrophe qui ne permet jamais au sol de guérir. Et garder le sol nu nécessite un effort colossal. Parce que la vie veut vivre. Les arbres tentent obstinément de constituer des forêts, les herbes veulent leur prairie, et les eaux aspirent à une zone humide. Si l'on arrête de défricher le sol de la Nouvelle-Angleterre, on verra apparaître les teinturiers et les ronces, puis le sumac et le bouleau, puis les érables et les chênes et les pins. En cinq ans, il sera couvert de pousses ; dans dix ans elles seront trop gros pour être coupés à la scie. C'est la manière dont la Terre se protège, couvrant son corps d'une armure vivante de verdure.
Mais son armure n'est pas assez épaisse, pas quand les assaillants sont des humains. L'agriculture s'apparente davantage à une guerre qu'à toute autre chose, une attaque tous azimuts contre les processus qui rendent la vie possible. Daniel Hillel explique,
par sa nature même, [l'agriculture] est une intrusion et donc une perturbation de l'environnement, car elle remplace un écosystème naturel par un écosystème artificiel... Au moment où un agriculteur délimite un lopin de terre... il déclare dans les faits la guerre à l'ordre environnemental préexistant. Souhaitant cultiver une variété particulière... l'agriculteur doit désormais traiter toutes les espèces indigènes comme de mauvaises herbes nuisibles ou des parasites, à éradiquer par tous les moyens possibles. Toutefois, dans un environnement ouvert les espèces sauvages continuent à repousser sur le territoire qui leur a été volé, ainsi la guerre menée par l'agriculteur n'est jamais gagnée.L'agriculture s'est développée jusqu'au bord des océans, elle a fait le tour du globe. Les seuls terrains épargnés sont ceux que les agriculteurs ne pouvaient exploiter : trop froid, trop chaud, trop raide, trop sec.
Et l'agriculture n'est pas tout à fait une guerre parce que les forêts et les zones humides et les prairies, la pluie, le sol, l'air, ne peuvent pas riposter. L'agriculture s'apparente plutôt à un nettoyage ethnique, éliminant les autochtones afin que les envahisseurs puissent prendre le contrôle de la terre. C'est le nettoyage biotique, biocide. « Dans l'histoire de la civilisation... le soc a été beaucoup plus destructeur que l'épée. » Elle n'est pas non-violente. Elle n'est pas durable. Et chaque bouchée de nourriture issue de l'agriculture a le goût de la mort.
Quand j'étais à l'école, j'ai suivi un cours intitulé « Dimension politique de la faim dans le monde ». Cela faisait quatre ans que j'étais végétalienne et je connaissais bien les solutions à la faim du monde. C'est du moins ce que je pensais. Il s'avère que je n'y connaissais rien. Le professeur, un agronome qui avait également élevé des moutons, a fait une déclaration qui m'a fait froid dans le dos.
« Dès que vous enfoncez la charrue dans le sol, vous le dégradez. » J'ai vu tout tomber comme des dominos, la race humaine dans son ensemble. Nous étions trop nombreux, des milliards en trop, pour recourir à autre chose que l'agriculture pour nous nourrir. Notre démographie nous a obligés à défricher les terres et à les utiliser pour notre usage exclusif. Mais ce processus a détruit la couche arable. Sans sol, il n'y aurait plus de nourriture, plus de vie. Si ce qu'il disait était vrai, la conclusion serait une famine généralisée.
« Labourer le sol l'expose au soleil, à la pluie et au vent », a-t-il expliqué. Au cas où ses propos ne seraient pas clairs, il avait des diapositives. Par exemple, il avait des photos de la Mésopotamie, la « terre entre les fleuves », ce qu'on appelle aujourd'hui l'Irak. Vous en avez peut-être vu des images, mais probablement celles produites par les journalistes embarqués avec les troupes américaines, et non pas celles d'agronomes essayant de ramener le désert à la vie. Les fleuves en question sont le Tigre et l'Euphrate. Cette région fut nommée le Croissant fertile, mais désormais aucune personne sensée ne l'appellerait ainsi.
De vastes étendues de terres stériles, chargées de sel [sont] traversée par les restes de canaux d'irrigation antiques. Il y a bien longtemps, ils y avaient là des champs et des vergers féconds... La situation déplorable actuelle... est due en grande partie à l'exploitation prolongée de cet environnement fragile par des générations de tailleurs de forêt, d'écobueurs, de brouteurs, de cultivateurs et d'irrigateurs. Les villes de la Mésopotamie, autrefois prospères, sont désormais des tells [colline artificielle formée par les différentes couches d'habitations humaines - NdT], des sanctuaires historiques muets dans lesquels les restes d'une civilisation qui vécut et mourut sont ensevelis.
La civilisation de la vallée de l'Indus a connu le même destin. Si les terres arables en Inde, Pakistan, Australie, Russie, États-Unis, Afrique sub-saharienne, Méso-Amérique du Sud, Égypte, Canada ne sont pas déjà couvertes de sel, étendues d'argile brûlée par le soleil, elles le seront un jour. La Méditerranée, par exemple, était autrefois une forêt. En fait, le Liban était couvert de cèdres à l'époque et pas seulement avec le fantôme de l'un d'entre eux estampillé sur le drapeau national. « Les collines d'Israël, du Liban, de la Grèce, de Chypre, de la Crète, d'Italie, de Sicile, de Tunisie et de l'est de l'Espagne » étaient couvertes d'arbres avec une couche arable d'un mètre de profondeur. Dépouillé de ses arbres protecteurs, le sol a été emporté dans la mer. Tout ce qui reste aujourd'hui sont de petites broussailles accrochées à des rochers secs, arpentées par les chèvres et desséchant au soleil.
La ville d'Utique illustre l'ampleur de la destruction. Utique était un port à l'embouchure du Bagradas. Mais le sol des collines a été emporté par le fleuve jusqu'à la mer, où il s'est accumulé jusqu'à ce qu'Utique ne soit plus un port. La ville abandonnée se trouve désormais à sept kilomètres de la côte, en dessous de dix mètres de limons.» David Hillel écrit : « Le destin d'Utique est typique de ce qui est arrivé aux autres magnifiques villes établies par les Romains en Afrique du Nord »
Au Liban (et puis en Grèce, et puis en Italie) l'histoire de la civilisation est mise à nue tout comme les collines rocheuses. L'agriculture, la hiérarchie, la déforestation, la disparition des terres arables, le militarisme et l'impérialisme ont généré une spirale toujours plus négative qui s'est terminée avec l'effondrement d'une biorégion qui ne récupérera probablement pas avant la prochaine ère glaciaire. Le Liban était le pays des Phéniciens, commerçants hors pair qui sillonnaient la Méditerranée. Leurs terres arables étaient entourées par des montagnes, sur lesquelles poussaient des cèdres. Le cèdre est très prisé pour la construction, et surtout la construction navale, car il est naturellement résistant à la pourriture. Dans le cas où vous pensez que Maxxam et Plum Creek [deux grandes entreprises étasuniennes spécialisées dans l'exploitation forestière - NdT] l'avaient inventé, les Phéniciens aussi rasaient leurs forêts. La Mésopotamie et l'Égypte n'avaient pas d'arbres et étaient heureux d'en acheter. Le Livre des Rois décrit le roi Salomon envoyant des milliers de travailleurs pour aider à l'effort de coupe et de transport vers Jérusalem du bois de cèdre, nécessaire («nécessaire») à la construction des temples et des palais. Ces bâtiments sont une fonction des civilisations agricoles, avec leurs hiérarchies de classes royales et sacerdotales.
Ensuite, la population en pleine expansion a essayé de cultiver les terres en pente, ce qui a engendré le glissement inévitable du sol vers la mer. Ce qui a conduit à la phase finale de l'agriculture : l'impérialisme. Les Phéniciens ont colonisé l'Afrique du Nord, la Sardaigne, la Sicile et l'Espagne. Les colonies fournissaient de la nourriture par l'exploitation de leur propre terre arable, et recevaient des Phéniciens des produits industriels (principalement du verre et des teintures) en échange.
Finalement, la puissance phénicienne a décliné et les Grecs on prit le pouvoir. À leur tour, ils ont détruit leurs propres terres, transformant « une terre autrefois densément végétalisée en un paysage composé de roches denudées. » Ils ont déboisé pour l'agriculture et pour le carburant nécessaire aux procédés industriels comme la fabrication de poteries, de briques, et de métaux. Ils ont également utilisé le bois pour la construction des chariots, des chars, et, bien sûr, des navires destinés au commerce et aux conquêtes militaires inévitables. Les Grecs ont également brûlé leurs forêts pour faire place à des pâturages, qui ont été détruits par le surpâturage. Hillel cite l'Iliade : «de même qu'ils voient maintenant les torrents creuser leurs campagnes et se précipiter dans la mer pourprée du haut des rochers escarpés, détruisant de tous côtés les travaux des hommes ». La guerre a été la dernière insulte à la terre, car durant les conflits incessants qui ont marqué cette région, les soldats abattaient systématiquement les arbres des peuples vaincus. Avec la couche arable disparue, il n'y avait plus de matrice pour que les arbres repoussent.
La terre végétale s'accumulait à la sortie des cours d'eau, formant finalement des marécages. Les marais ont produit les moustiques et les moustiques sont devenus les vecteurs d'un nouvel organisme brillant qui a trouvé une niche disponible dans les cellules sanguines humaines. Le paludisme est une maladie de civilisation, ce n'en est qu'une parmi tant d'autres. Comme l'écrit Richard Manning,
« La destruction de la forêt tropicale d'abord en Afrique, et plus tard dans d'autres régions ... ... a créé précisément le genre de conditions dans lesquelles les moustiques prospèrent. Ainsi, le paludisme est une maladie agricole ».Chaque année, entre 700 000 et 2,7 millions de personnes meurent du paludisme. Il tue deux Africains chaque minute.
Puis vint Rome et la même histoire s'est répétée encore une fois : terres défrichées pour l'agriculture et l'industrie, couche arable emportée, embouchure des fleuves obstruée, ruisseaux à sec à la source. Steven Stoll explique :
« La terre végétale contient la majeure partie de l'eau disponible dans tout écosystème. Sans ce réservoir, l'humidité rejoint le cours d'eau le plus proche; la terre s'assèche ; le climat change ». Plus en aval, le limon a créé plus de marais infestés de malaria et a détruit les ports d'Ostie, Paestum, et Ravenna. Des bandes de terre appelées « agri deserti », ou champs abandonnés étaient laissés nus et abandonnés. Tout cela nourrit par le labeur et la misère de l'esclavage humain.
Les mauvais traitements que les Romains infligeaient à la nature ont eu lieu bien au-delà de leur propre terre. Partout où ils ont établi leur domination, ils ont répété le même schéma. Le déboisement a été mené systématiquement, tout comme la surexploitation et le surpâturage des terres pour satisfaire les demandes cupides d'un centre de pouvoir hypertrophié.
La description de Rome et de son agriculture rouleau compresseur - au niveau environnemental, économique, et social - s'applique à tous les centres de pouvoir hypertrophié, qui couvrent l'ensemble de la planète.
L'Amérique du Nord était autrefois couverte de forêts si épaisses que théoriquement un écureuil aurait pu aller du Maine au Texas sans toucher le sol. À l'arrivée de la saison des pluies, les prairies apparaissaient, et un tapis d'herbe continu s'étendait sur 3200 kilomètres. À leurs saisons les rivières montaient, couvrant la terre d'une douce et sauvage inondation porteuse de fécondité, et les zones humides libéraient l'eau comme un long et lent soupir.
Comme je l'ai dit, 99,8 pour cent de la prairie originelle a désormais disparu. À l'époque, l'Illinois était couvert de 9 millions d'hectares de prairie, agrémentés de quelques bosquets et zones de savane. Au Nebraska, 98 pour cent de la prairie originelle à herbes hautes a disparu. Le buffle n'a plus d'espace où vivre. Il n'y a plus que du maïs, du blé et du soja. Les petits animaux comme les souris et les lapins sont quasiment les seuls à avoir échappé à l'épuration biocide menée par les agriculteurs, et chaque année des milliards d'entre eux sont tués par les machines agricoles. Sauf si vous êtes là-bas avec une faux, n'oubliez pas de les ajouter au décompte des décès de votre repas végétarien. Ils comptent et ils sont morts pour votre dîner, avec tous les animaux dont la population a diminué en deçà de la viabilité génétique. « Vous pouvez regarder une vache dans les yeux », dit une publicité pour les hamburgers au soja. Et si c'était un buffle ?
Cinq pour cent des effectifs d'une espèce sont nécessaires pour assurer suffisamment de diversité dans la perspective d'une survie à long terme, et il reste moins de 1 pour cent des buffles.
Maintenant, à la place, nous avons l'agriculture. Jadis, l'Indiana était couvert par plus de 800 000 hectares de prairies et de forêts. Il en reste 400 hectares sous forme de parcelles fragmentées. Il y avait aussi des milliers d'hectares de marécages couverts de tupelos aquatiques et de cyprès chauves. Ces derniers sont proches des séquoias, mais personne ne fait de sit-in pour les protéger. Les tupelos aquatiques sont essentiels pour nombre d'animaux, ils fournissent de la nourriture aux marmottes, dindes sauvages, ours, cerfs, renards, ratons laveurs, écureuils, et de nombreux oiseaux. Ils peuvent vivre plus de cinq cents ans. Quelques petits bosquets étaient déjà là avant l'arrivée de Christophe Colomb. Des survivants, en effet. Le champion national des tupelos aquatiques - qui le savait ? - faisait plus de 30 mètres de haut, 18 mètres de large et 8,2 mètres de circonférence.
La plupart des arbres étouffent sous l'eau. Leurs racines ont besoin d'oxygène. Mais le tupelo aquatique et le cyprès chauve développent un tissu spongieux hors de l'eau, qui, comme vous et moi, absorbe l'oxygène contenu dans l'air . « Une véritable respiration se produit », explique Richard Hines, biologiste de la faune à la White River National Wildlife Refuge.
Peut-être pensez-vous que les arbres et les herbes ne méritent pas le statut d'espèces. Peut-être que vous ne les considérez pas comme sensibles ou capables de ressentir la souffrance. Mais elles sont nécessaires aux créatures qui sont chères à votre cœur et votre conscience. L'ampleur de ce qui s'est passé sur ce continent - sur cette planète - est difficile à appréhender, surtout quand cette connaissance n'apporte que de la tristesse pour tous ceux qui respirent encore. Et pour aller encore plus loin, remettre en question la nature même de l'agriculture est quasiment impossible. Nous vivons dans une société agricole. C'est comme remettre en question l'air, ou Dieu, ou le progrès, ou la survie humaine, au niveau personnel et collectif. Nous ne savons même pas comment la remettre en question. Nous vivons, pour la plupart, dans les banlieues / villes depuis longtemps décimées par les scies et les charrues et abandonnées à l'asphalte. Nous savons ce que disent les livres - livres plein de passion, de compassion - avec leurs voyages infernaux au cœur des fermes industrielles et leur juste poidq de céréales, huit kilogrammes exactement [allusion aux huit kilos de céréales nécessaires pour produire un kilo de viande - NdT]. Nous ne savons rien des sternes noires ou des fauvettes de Swainson ou des morillons à dos blanc. Nous n'avons aucune idée de qui meurt afin que nous mangions.
Nous ne savons pas ce qu'est l'agriculture, car personne ne nous l'a jamais dit et nous ne pouvons le voir par nous-mêmes. Nous ne pouvons pas le voir, car la destruction a été si totale que nous ne savons pas ce à quoi le monde devrait ressembler. À quatre occasions j'ai traversé l'Indiana en voiture et je n'avais aucune idée qu'il était autrefois couvert de forêts et de marécages. Qui associe Indiana à marécages ? Il a fallu attendre que je lise le livre de Gene Stratton-Porter « La fille du Limberlost » - un roman pour enfants qui raconte l'histoire d'une fille déterminée qui utilise ses connaissances du marais pour payer ses frais de scolarité - pour le découvrir. Le marécage de Limberlost couvrait plus de 5000 hectares, il était protégé par 4850 hectares de terres humides. Le site Limberlost State Historic reçoit plus de 10 000 visiteurs par an, et deux tiers d'entre eux veulent voir le marécage. Becky Smith, le conservateur, doit répéter à chacun d'entre eux : « Le marécage n'existe plus. »
Le sol, les animaux, les végétaux, les rivières. C'est la mort dans votre nourriture. L'agriculture est carnivore : elle mange des écosystèmes, et elle les avale tout entier. Pourrait-ce être différent ? Est-ce la nature de l'agriculture ou tout simplement la manière dont nous la pratiquons qui est destructrice ? À cet égard, l'agriculture est-elle similaire au pâturage ? Des animaux appropriés intégrés à des polycultures vivaces améliorent la fertilité du sol - en effet, ils sont nécessaires pour avoir des forêts, des zones humides, des savanes et des prairies en bonne santé. Mais trop d'animaux ou le mauvais type d'animaux va entraîner une dégradation du sol, parfois jusqu'à la désertification. Comme mentionné précédemment, les cerfs de Virginie détruisent les forêts du Nord-est, car il n'y a pas assez de prédateurs. Sans les loups et les lions de montagne, il y a plus de chevreuils aujourd'hui qu'il n'y en avait en 1491. Des concentrations trop élevées de bovins et de chèvres dégradent les sols dans le monde entier. Mais ce n'est pas inhérent à la nature des ruminants, la destruction ne vient pas du pâturage, mais de la manière dont on le fait.
Je suis convaincue que la culture de céréales annuelle ne peut être une activité harmonieuse. Elle requiert l'extermination de masse des écosystèmes - la terre doit être débarrassée de toute vie. Elle détruit le sol, car le sol doit être nu, et il doit être mis à nu pour qu'on y cultive des plantes annuelles. Dans les régions où les précipitations sont insuffisantes, l'agriculture nécessite des irrigations, qui vident des rivières jusqu'à la mort et salinisent le sol. Elle exige aussi un travail physique sans fin pour fournir des aliments de qualité médiocre. Et elle a dévasté les cultures humaines, laissant dans son sillage l'esclavage, la stratification des classes, le militarisme, la surpopulation, l'impérialisme, et un Dieu Père punissant.
Quelqu'un a-t-il été capable de produire des monocultures annuelles sans infliger aucune destruction ? L'agriculture peut-elle être durable ? Wes Jackson écrit :
La plupart des cultures d'Europe du Nord et du Japon ont des fermes qui sont exploitées d'une manière apparemment durable. Mais quand nous nous penchons sur ces cas exemplaires de réussite, nous découvrons qu'il existe un ensemble complexe de facteurs, y compris la nature de la pluviométrie, du système de culture, des sols, de la culture, qui se combinent de façon unique pour autoriser une agriculture durable réellement convaincante. Même ainsi, ni l'Europe du Nord, ni le Japon ne se rapprochent de l'autonomie alimentaire. Et le nombre d'individus ou de cultures qui pratiquent une agriculture durable réellement convaincante... est effectivement réduit. Suggérer que la solution aux problèmes de l'agriculture se résume à suivre l'exemple de l'écologiquement correct que l'on trouve autour de nous aujourd'hui, c'est un peu comme suggérer que si plus de gens se comportaient comme des citoyens modèles, policiers ou militaires ne seraient plus nécessaires. Eh bien, policiers et militaires existent et sont tous deux les signes d'une défaillance interne de la civilisation.... Mais ne doit-on pas être constamment à la recherche de solutions qui les rendent inutiles ? Ne devons-nous pas nous efforcer de créer une agriculture qui rende inutile l'exemple de personnes modèles au sein de la tradition agricole actuelle ?
Le pire c'est qu'il est précis, argumenté compatible avec les données historiques, anthropologiques, biologiques, écologiques ( mais pas au sens dévoyé et stupide qui fait que l'écologie est devenu une mode pour les non pensants ), chimiques, et j'en passe.
La force de ce texte est qu'il structure des données éparses dans une perspective cohérente et effrayante.
Ce qui est effrayant est l'abandon de la visée anthropomorphique à laquelle nous sommes accoutumés.
Ensuite vient la conclusion irréfutable que 95 % de la population humaine est nocive, donc superflue.
De quoi nourrir les débats dans les campings...
Et si finalement la survie de 5 % de psychopathes était un bien pour la planète ? Au détriment des 95 % dont nous faisons partie ?
L'écologie véritable, c'est à dire dépourvue de la niaiserie anthropomorphique, conduit à des conclusions troublantes...
Je ne suis pas pour autant adhérent aux théories de Bilderberg ou des charmants séminaires organisés par le club de Rome.
PS : Si vous souhaitez vous fâcher définitivement avec vos amis végétariens ou écologistes, puisez dans cette argumentation.
Par exemple commencez par leur démontrer que leurs enfants consommeront des milliers de tonnes de pétrole et détruiront des surfaces agricoles simplement en mangeant des céréales. Cela ne serait pas arrivé s'ils avaient visé à coté à un certain moment crucial. Ils en portent donc la responsabilité...
L'été risque d'être chaud !