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Tiens, le loup revient ...

Reconverti après son emprisonnement en coach professionnel, conférencier et motivateur, l'ex extravagant et controversé arnaqueur-escroc de la finance, Jordan Belfort, vient visiter les Montréalais le 12 mai prochain au Palais des Congrès où il donnera une conférence sur les meilleures manières de réussir en affaires. Une allocution d'environ trois heures.

Ça prenait de l'audace, mais Monsieur Belfort n'en manque aucunement. Son passé le démontre bien. Les meilleures manières de réussir en affaires et de faire de l'argent, on peut dire que c'est sa spécialité puisqu'il gagnait au moins 50 millions de dollars par année avec sa compagnie Stratton Oakmont en faisant grimper artificiellement le cours des actions d'entreprises en investissant lui-même d'abord, et en revendant les actions avec profit une fois que les clients avaient acheté des parts, ce qui entraînait la chute des cours et la ruine des investisseurs.

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Les billets pour assister à la conférence ne sont pas gratuits. Pour un siège ordinaire, c'est 137 $. Pour ceux qui veulent les premières places - dans les trois premières rangées - le coût s'élève à 795 $. À ce prix, le participant aura droit, en plus de contempler de près la bête dans toute sa splendeur, à un livre autographié et une photo. Il n'y a pas de petits bonheurs.

Depuis son arrestation par le FBI en 1998 pour introductions en bourse illégales, détournements de fonds et blanchiment d'argent, Jordan Belfort est devenu une sorte de vedette à l'aura noire, mais fascinante. Il profite présentement d'une célébrité accrue grâce au dernier film de Martin Scorsese inspiré de son autobiographie, histoire écrite en prison durant ses vingt-deux mois de détention (au lieu de quatre ans car sa belle collaboration avec le FBI et la dénonciation de ses anciens employés lui ont valu une réduction de temps de moitié), dont le cinéaste a acheté les droits. Le film tourné avec l'acteur Leonardo di Caprio sorti en décembre 2013 connaît le plus grand succès de Scorsese au box-office mondial. Le film vient de remporter cinq oscars.

Condamné à verser 110,4 millions de dollars à ses victimes, Jordan Belfort n'a à présent remboursé que 11,6 millions de dollars. Où est passée la faramineuse somme de un million de dollars provenant de la vente des droits de son autobiographie à Martin Scorsese ? En principe, en principe seulement puisque les faits ne suivent pas toujours les principes, Jordan Belfort, est censé verser 50 % de ses revenus aux clients lésés. Or, sur le million touché de la part de la Société de production du « Loup de Wall Street », il n'aurait remis que 21 000 $ .... au lieu de 500 000 $. Ceci mérite une sérieuse interrogation de notre part et un juste doute quant à ses intentions sincères de rembourser toutes les sommes dues. Gageons que le loup va se déguiser en petit chaperon rouge pour amadouer les cœurs sensibles à son charme.

L'homme âgé de cinquante et un ans a commencé sa carrière de vendeur assez tôt, durant l'adolescence, où on reconnaissait son génie pour la vente. Sa première expérience fut de vendre des homards et des steaks surgelés en porte-à-porte, et dès la première semaine, il bat tous les records ! Quelques années plus tard, il débute comme assistant trader chez L.F. Rothschild. Son seul objectif est de faire de l'argent. Il ne reste pas longtemps petit employé. Il fonde l'année suivante sa propre entreprise de trading. Stratton Oakmont devient l'une des plus grosses sociétés de courtage de New York. À l'âge de vingt-six ans, il gagne un million de dollars par semaine !

Au fil des ans, près d'un millier de jeunes à peine sortis de l'adolescence sont formés par lui et gagnent à leur tour des sommes gigantesques. Ces jeunes deviennent des « strattionnistes » et se permettent, à l'image de leur patron, leur modèle, toutes les excentricités : drogues, prostitution, possession de yachts, hélicoptères, villas, etc.

Quel était donc le secret de Jordan Belfort ? La convoitise, l'appât du gain, l'assurance que les joueurs ne peuvent résister à risquer, la capacité de subjuguer par la parole, le regard, le magnétisme. Et surtout, le désir de faire de l'argent. Le seul véritable désir.

La troupe file allègrement pendant une dizaine d'années. Puis, une première ombre en 1994, quand la SEC (Securities and Exchange Commission) organisme fédéral chargé de réguler les marchés financiers, saisit la société pour fraude. Il n'y aura pas de procès; l'entreprise versera 2,5 millions de dollars, Belfort et ses associés 1 000 $ chacun, et aucun d'eux ne sera reconnu coupable de fraude. Comme quoi avec l'argent on peut acheter même la justice. Quatre ans plus tard, la FBI réussira à inculper Stratton Oakmont.

Un fait à souligner : l'avocat de Jordan Belfort à son arrestation par le FBI est I. Lee Sorkin, celui-là même qui défendra plus tard un autre voleur en cravate blanche, Bernard Madoff.

Conclusion

Est-il éthique d'accepter qu'un usurpateur, un manipulateur, un homme qui n'a pas encore remboursé ses victimes qu'il n'a pas hésité à tromper et détrousser, apparaisse publiquement sur une scène pour être applaudi ? Le Loup a changé d'habit, mais le cœur a-t-il changé ?

Il se dit un homme nouveau. Pourtant, il ne parle pas vraiment de regrets. Il se déculpabilise plutôt légèrement en invoquant la richesse de ses victimes. Ce qui est vrai en partie seulement, puisque de nombreux retraités modestes et petits actionnaires ont été ruinés par sa compagnie. D'ailleurs, invoquer la richesse des personnes spoliées comme étant moins grave est dérangeant et toxique ; il y aura toujours quelque esprit pervers pour prétendre qu'il a rendu service à la société !

Avec Vancouver, Toronto et Calgary, Montréal fait partie des quatre villes canadiennes que Jordan Belfort visitera en mai. En plus de parler de « ses stratégies gagnantes sans devoir endurer ses douloureux échecs », il fera la distinction entre « avoir un but » et « avoir une vision ».

Dans la société d'apparence dans laquelle nous vivons, je gage que cette soirée sera un succès et que le loup se fera des fans.

Si en lisant ce texte vous avez l'intention de vous rendre à la conférence, j'aimerais bien obtenir vos impressions.