Un bon roman, quel que soit son genre, comporte presque toujours une intrigue passionnante. Mais ce qui dans un roman d'amour importe le plus, c'est le développement d'une relation entre deux personnes, qui passe très souvent de l'indifférence, voire de l'hostilité, à l'affection, à l'amitié, à l'attirance, à l'amour et, finalement, à la plénitude de l'amour total et inconditionnel. Pour qu'une histoire d'amour soit vraiment satisfaisante, la fin doit laisser le lecteur soupirer de délice — et peut-être aussi lui faire éprouver un peu de tristesse à l'idée que l'histoire soit terminée —, convaincu que ces deux personnes partagent le genre de lien amoureux indestructible qui durera toute une vie, voire jusqu'à la fin des temps. La fin se doit de donner le sentiment profond d'un bonheur éternel, mais aussi la conviction que si ces deux personnes veulent rester heureuses, elles devront, chaque jour et pour le reste de leur vie, œuvrer à préserver leur amour.
peinture romance couple
© Maria Magdalena Oosthuizen, 1972
Pour parvenir à cette conviction, le lecteur doit être entraîné dans l'univers de l'histoire et dans l'esprit, le cœur et l'âme même des deux amants. Les lecteurs doivent participer de manière émotionnelle au voyage vers l'amour de ces deux protagonistes, à un degré tel que, par leur imagination, ils deviennent presque ces amants. Faire en sorte que tout cela se produise est la mission de l'écrivain.

Mais comment ?

Les personnages doivent sembler très réels. Que le héros soit grand, brun, beau et charismatique ou quelque chose de tout à fait différent, que l'héroïne soit charmante et belle ou quelque chose d'entièrement différent, ils doivent ressembler à de véritables personnes auxquelles le lecteur peut s'identifier et pour lesquelles il peut avoir de l'empathie. Ces personnages fictifs nécessitent une profondeur d'âme qui aille au-delà de l'histoire de leur vie et des traits de personnalité que l'auteur leur a créés. Ils doivent donner l'illusion d'être des êtres humains vivants, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs triomphes, leurs défaites et leurs problèmes, aussi pleins de défauts et de contradictions que peuvent l'être de vraies personnes. Mais quoi qu'il en soit, le lecteur doit avoir envie de les soutenir dans leurs difficultés, et à travers leurs vulnérabilités en tomber amoureux. Le lecteur doit passionnément vouloir que cette histoire d'amour fonctionne et se termine de manière heureuse.

Pour rendre les personnages réels, l'écrivain doit les connaître au plus profond de leur âme. On peut en savoir beaucoup sur d'autres personnes sans vraiment les connaître au plus profond d'elles-mêmes. Parfois, nous ne nous connaissons même pas complètement nous-mêmes. Vous arrive-t-il de dire ou de faire quelque chose qui vous surprenne ? Savez-vous vraiment quel serait votre comportement dans une circonstance inattendue, une urgence de vie ou de mort, par exemple ? Lorsque j'écris une histoire, je n'ai de cesse de constater que je dois m'arrêter, revenir en arrière, déterminer ce qui caractérise tel ou tel personnage et, après avoir appris à mieux le connaître, réécrire certains passages pour adapter l'histoire en conséquence. Comme leurs caractères ne correspondent plus à ce que j'avais initialement imaginé, certaines des choses que je voulais les voir faire ne peuvent plus se produire. Et ne me dites jamais qu'en tant qu'écrivain, je contrôle l'identité de mes personnages. Rien n'est plus faux !

Cette connaissance approfondie de mes personnages ne me vient cependant qu'au fur et à mesure qu'ils parlent, pensent et réagissent les uns avec les autres, au fil de l'histoire. Il m'est impossible de tout savoir à l'avance. Il ne m'est jamais facile d'élaborer un récit complet et tant que je n'ai pas l'impression que le héros et l'héroïne sont absolument parfaits, je ne suis pas satisfaite. Ils sont rarement prêts à livrer un seul de leurs secrets dès le début ou à tous les dévoiler en une seule fois. Parfois, si tout le reste échoue et que l'histoire — et la romance — piétine, je finis par leur demander, souvent à haute voix, où se cache leur douleur la plus profonde. Il y a toujours quelque chose. Une fois que je le sais, je peux alors m'atteler à la guérison du personnage pour lui permettre d'atteindre le stade où il peut donner de l'amour, l'accepter en retour et s'installer dans une relation amoureuse durable et significative. Et cela doit se produire pour les deux personnages principaux. Ils doivent tous deux être impliqués dans les révélations et la guérison. Ils doivent, d'une manière ou d'une autre, contribuer à conduire l'autre à la complétude, à l'amour et au bonheur ultime.

Couple romantisme
© Inconnu
Il ne suffit donc pas de connaître les personnages tels qu'ils sont au départ. Si le lecteur entreprend d'investir du temps et des émotions dans leur histoire, la compréhension que l'auteur a des personnages doit croître et ces derniers doivent évoluer. Cet aspect n'est pas nécessairement vrai pour tous les genres de fiction. Pour certains, une très faible implication émotionnelle avec les personnages principaux est nécessaire. Mais dans une histoire d'amour, il est essentiel. Si le héros, par exemple, est beau et sexy et que tout au long de l'histoire il ne fait rien d'autre que des trucs de macho, le lecteur prendra peut-être plaisir à lire son histoire, mais il n'aura pour lui que peu d'empathie émotionnelle. Il sera très peu convaincu de sa capacité à s'engager à vie dans une relation amoureuse.

L'une des façons d'explorer en profondeur les héros et les héroïnes et d'attirer le lecteur sur le plan émotionnel est d'utiliser le point de vue avec beaucoup de soin. Le point de vue constitue le regard et l'esprit à travers lesquels un épisode particulier de l'histoire est raconté. Il est possible de narrer toute l'histoire à la première personne, du point de vue d'un seul des amants, mais dans ce cas, les événements ne peuvent être vécus qu'à travers l'esprit et les émotions de ce seul personnage — comme cela se produit dans nos propres vies. L'auteur peut aussi raconter toute l'histoire en tant que narrateur et décrire au lecteur tout ce qui se produit et ce que ses personnages pensent et ressentent. Je préfère utiliser ce que j'appelle le point de vue intérieur profond, à la troisième personne. J'alterne entre le héros et l'héroïne en racontant un épisode de son point de vue à lui et le même de son point de vue à elle. Le lecteur vit l'histoire à travers l'esprit, le cœur et le point de vue des deux personnages principaux, mais l'un à la suite de l'autre. Quand on y réfléchit, tous les événements de notre vie comporte une dimension émotionnelle. C'est nous qui faisons l'expérience de tout ce qui nous arrive et de ce qui arrive au monde qui nous entoure, et chaque événement est coloré par les personnalité, valeurs, expériences et émotions qui nous sont propres. Nos émotions en particulier. Il est rare qu'une chose nous arrive sans qu'elle soit accompagnée d'une émotion. Reproduire cette réalité avec des personnages de fiction devrait être l'objectif de l'écrivain. Au fur et à mesure qu'ils traversent les événements de l'intrigue, les deux héros doivent donner le sentiment qu'ils sont des êtres vivants et empreints d'émotion. Si leur histoire est racontée depuis leur point de vue le plus intime, le lecteur fera aussi partie de l'histoire et vivra avec eux tout ce qui leur arrive et ressentira tout ce qu'ils ressentent — il vivra et aimera avec eux.

Créer ce lien émotionnel entre l'auteur, le personnage et le lecteur est l'un des plus grands défis posés par l'écriture d'une histoire d'amour. C'est aussi, je crois, la clé de son succès — ou de son échec. L'auteur doit être capable d'amener le lecteur à rire et à pleurer avec les personnages, de lui faire ressentir avec eux toute la gamme des émotions humaines — et de l'amener à tomber amoureux à la fois de l'héroïne et du héros, et du couple qu'ils forment. Les meilleures et les plus mémorables des histoires d'amour doivent être destinées à tout le monde — pas seulement aux deux personnages fictifs qui en font l'expérience, mais bien à tous les lecteurs qui doivent pouvoir les vivre par procuration en même temps que les deux amants. C'est le travail de l'écrivain de s'assurer que cela se produise.
Note du traducteur : Selon une étude récemment publiée dans la revue scientifique Social Cognitive and Affective Neuroscience :
« Les gens qui ont un haut potentiel d'identification sont non seulement absorbés par une histoire, mais aussi très absorbés par un personnage en particulier. Ils racontent que leur façon de penser est similaire à celle du personnage, qu'ils pensent ce que le personnage pense et ressentent ce que le personnage ressent. Ils entrent dans la peau de leur héros.
[...]
Pour certaines personnes, la fiction est une chance de prendre de nouvelles identités, de voir le monde à travers les yeux de quelqu'un d'autre et de ressortir changé par ces expériences [...] Des études précédentes ont montré que lorsque les gens vivent des histoires en se mettant dans la peau d'un héros, une connexion se fait avec ce personnage, qui va comme s'imbriquer dans la personne. Nous démontrons que c'est vrai en analysant le cerveau. »

~ Pour votre cerveau, vous êtes votre personnage de fiction préféré - c'est la science qui le dit
Voir aussi : Et la vidéo de l'émission Sott « MindMatters », dont Mary Balogh était en avril dernier l'invitée : Mary Balogh : le sens et le but de la romance [en anglais] :

Source de l'article initialement publié en anglais le 12 février 2021 : Mary Balogh
Traduction : Sott.net