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Le langage se nourrit d'expressions toute faites, d'expressions qui figent ou orientent la pensée et font des locuteurs des handicapés conceptuels : « forces vives », « opinion publique », « insécurité », « fracture sociale ».
Boudieu disait qu'elles étaient « sémantiquement à peu près indéterminées, banalisées et polies par l'usure d'un long usage automatique,
qui fonctionne comme des formules magiques ».
Comme l'expliquait Umberto Eco
[1], les humains ont inventé le langage pour dire ce qui n'est pas là. Quand je susurre au téléphone à quelqu'un : «
je pense à toi », le seul mot qui renvoie à une réalité vraie, c'est «
je ». En effet, rien ne dit qu'à ce moment précis je «
pense », ni que je pense à «
toi ». À partir de là, tout est possible : un arriviste raciste allemand peut se qualifier de socialiste alors qu'il est le pantin des banques et des grands conglomérats de son pays. Un général très étoilé peut montrer au monde entier une capsule de «
poison mortel » alors qu'il tient dans la main de la poudre de perlimpinpin. Et puis un surdoué de l'écriture peut aussi nous raconter l'histoire d'un pauvre type qui «
dort » dans un «
val ».
En 2009, une équipe d'universitaires a mis au point un Lexique Usuel Critique de l'Idéologie Dominante Economique et Sociale pour l'Institut d'histoire sociale de la CGT dans lequel elle analysait les mots et expressions forgés ou détournés par les idéologues et les politiques au service de la finance et des entreprises multinationales. Je reprends ici quelques exemples de mots qui nomment les maux.