Un capitaine, prêt à courir à sa perte, et à entraîner avec lui tous ceux qui l'accompagnent, en chassant une baleine blanche. On connaît l'histoire : au fil des ans, Ahab le dément, dans
Moby Dick, le plus célèbre roman d'Herman Melville, a fini
par illustrer le pouvoir délirant de l'Amérique, dont la désastreuse invasion de l'Irak par George W. Bush, constitue l'exemple le plus récent.
Mais nos Ahabs - ces faucons qui, de temps à autre, veulent bombarder un pays pauvre jusqu'à le ramener à l'Âge de Pierre, qu'il s'agisse du Vietnam, ou de l'Afghanistan - ne sont pas ceux qui inspirent l'effroi le plus authentique. Les spécimens respectables sont la véritable « terreur de notre époque », pour utiliser l'expression sous laquelle
Noam Chomsky les regroupa, il y a cinquante ans. Les personnages véritablement effrayants, sont nos
politiciens les plus mesurés, nos
universitaires, nos
journalistes, nos
experts, et nos
dirigeants, ces hommes et ces
femmes (bien que la plupart d'entre eux soient des hommes), qui n'imaginent pas que l'on puisse mettre en cause leur
respectabilité morale, mais autorisent les guerres, dévastent la planète, et trouvent après-coup des explications rationnelles, pour justifier les conséquences atroces. Ils constituent une espèce, qui nous côtoie, depuis longtemps. Il y a plus d'un siècle et demi, Melville, qui avait un capitaine à placer sur chaque visage de l'Empire, trouva leur expression parfaite - pour son temps, comme pour le nôtre.