« Soixante-dix ans plus tard, la question des conditions intérieures et extérieures de l'avènement de " l'Etat de Pétain [et] de Laval" demeure taboue. » (page 294). C'est ce tabou qu'Annie Lacroix-Riz a entrepris de briser définitivement par son dernier ouvrage.
Longtemps a prévalu une thèse selon laquelle le soi-disant « Etat français » avait été le fruit amer de la cuisante défaite enregistrée, en quelques semaines, par les armées françaises face aux troupes allemandes et des diktats successifs du vainqueur et de l'occupant nazi. Les historiens se disputaient simplement sur le degré et la portée de la collaboration dont le premier avait fait montre à l'égard du second, les uns soutenant que cette collaboration, contrainte et forcée, avait permis de limiter le prix à payer pour la défaite, Vichy jouant le rôle de bouclier tout en étant contraint de faire la part du feu(1), les autres soulignant à l'envi combien cette collaboration procédait d'une pleine volonté des dirigeants vichystes, au point de devancer et d'excéder souvent les demandes nazies, en procédant d'une fondamentale complicité et parenté entre les deux régimes(2). Dans l'un et l'autre cas, cependant une coupure est établie ou présupposée entre le régime de Vichy et la IIIe République sur le cadavre de laquelle le premier se serait édifié.
Cette coupure est désormais contestée par toute une nouvelle génération de travaux qui mettent en avant, au contraire, l'absence de solution de continuité entre les dernières années du régime républicain et Vichy(3). Annie Lacroix-Riz propose de cette absence une explication radicale et iconoclaste : elle procéderait d'un véritable complot ourdi dans le milieu des années 1930 pour renverser la République, au prix en définitive d'une défaite militaire sciemment planifiée et exécutée, dans le but d'installer en France un régime de type fasciste, allié de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne, essentiellement destiné à y détruire le mouvement ouvrier et à y redoubler l'exploitation de la classe ouvrière. Complot dont Annie Lacroix-Riz avait déjà tracé les grandes lignes dans Le choix de la défaite(4) et dont elle étudie les dernières phases de la réalisation dans le présent ouvrage, celles allant des accords de Munich, par lesquels la Tchécoslovaquie est dépecée au profit du Reich à la fin du mois de septembre 1938, au vote par le Parlement français, le 10 juillet 1940, des pleins pouvoirs à Pétain, signant la fin de la IIIe République.